vendredi 31 octobre 2008

Consultation d'annonce : qu'en retient le patient ?

Il est habituel de considérer que lors d'une consultation au cours de laquelle une mauvaise nouvelle est annoncée, les informations données ne sont que partiellemment perçues et mémorisées par le patient concerné. Cette constatation est à la base des techniques relationnelles mises en oeuvre dans ce qu'il est convenu d'appeler le processus d'annonce formalisé dans le cadre du plan cancer français en cours de mise en oeuvre et récemment élargi à l'ensemble des pathologies graves dans une publication de l'HAS .
Dans le numéro de novembre du Journal of Clinical Oncology des équipes hollandaises et australiennes ont tenté de mesurer ce phénomène et d'en étudier les éventuels facteurs de variabilité, en interrogeant les patients par téléphone quelque temps après la consultation et en comparant les réponses obtenues avec le contenu enregistré de la consultation. Il apparaît ainsi que moins de la moitié des informations données lors de la consultation sont effectivement mémorisées par le patient et que paradoxalement, plus la gravité de ce qui est annoncé est importante moins le niveau de mémorisation est élevé. Par ailleurs, si l'âge n'est pas globalement un facteur discriminant, les patients de plus de 65 ans ont une mémorisation qui se dégrade quand la consultation a été longue et le nombre d'informations important.Cette étude montre par ailleurs que plus les patients posent de questions moins ils se rappellent du contenu des informations qui leur ont été données, comme s'ils n'avaient écouté que très partiellement les réponses.L'ensemble de ces données est cohérent avec ce que l'on sait de la mise en place des mécanismes de défense face à un événement fortement traumatique et anxiogène, l'intérêt de cette étude étant d'en évaluer quantitativement l'impact.
De façon pratique, on sait bien que s'il n'existe pas de "bonne" façon de donner de mauvaises nouvelles, il est toutefois possible d'en atténuer la traumatisme sans pour autant en dissimuler la réalité. La conversation face à face dans un lieu calme et intime, l'usage de mots simples et clairs, volontiers répétés au cours de la consultation, la présence d'un tiers de confiance, la disponibilité d'éléments explicatifs écrits, le relais informatif complémentaire par un autre soignant, sont des moyens souvent utiles. En outre, la répétition de ces moments d'échanges est probablement l'élément le plus important pour accompagner le patient dans son cheminement plus ou moins difficile et erratique vers la réalité de sa situation dont la perception effective subira de multiples fluctuations au fil des événements qui vont émailler son parcours médical.
Dans tous les cas, la disponibilité et l'écoute des soignants sont indispensables même si elles ne sont pas toujours pleinement effectives le plus souvent par évitement de l'inconfort certain que génèrent ces situations plutôt qu'en raison de contraintes éventuelles d'emploi du temps...

jeudi 30 octobre 2008

Les bulletins de santé des candidats jugés lacunaires

A la une du New York Times du 19 octobre, le docteur Lawrence K. Altman revient longuement sur ce qu'il appelle les nombreux "trous" qui persistent dans les bulletins de santé des candidats à la présidence. On peut s'étonner du retour de cette polémique à 15 jours du scrutin, mais manifestement, les américains sont attachés à avoir une connaissance "complète" de l'état de santé de leurs futurs président et vice-président et ce d'autant plus que deux des candidats ont présenté des pathologies susceptibles de comporter un pronostic vital défavorable en l'occurrence un mélanome malin pour Mac Cain en 2000 et un anévrysme artériel cérébral opéré en 1988 pour Joe Biden.
Au passage, on apprend que Barack Obama semble avoir eu beaucoup de difficulté pour stopper en 2007 un tabagisme dont il n'est pas précisé l'importance et que par ailleurs Sarah Palin n'a publié aucune information sur son état de santé.
L'essentiel du débat porte bien entendu sur l'état de santé de John Mac Cain, indépendamment des séquelles des traumatismes qu'il a subit pendant la guerre du Vietnam. En fait, c'est le mélanome de la tempe gauche, opéré en 2000, qui fait débat (voir dans ce blog Un mélanome dans la compagne électorale). L'article du NYT retranscrit le compte-rendu de l'examen anatomopathologique réalisé à l'Institut de Pathologie des Forces Armées à Washington qui semble plus en faveur d'une récidive régionale dans la cicatrice d'un mélanome précédemment enlevé que d'une nouvelle tumeur primitive ; cette lésion pourrait être satellite d'un autre mélanome malin enlevé dans le même temps au niveau de la tempe gauche ou d'une lésion, également de la tempe gauche, enlevée en 1996 et alors décrite comme bénigne.
Quoiqu'il en soit, les éléments en la possession des journalistes américains et scrupuleusement publiés ne permettent pas de trancher; il est toutefois évident que la situation cancérologique est toute différente entre un nouveau mélanome malin primitif de stade IIA comme cela a été précédemment dit et la récidive régionale sous la forme d'une lésion évoquant un "nodule en transit"(*) secondaire à un mélanome temporal simultané ou précédemment traité en 1996. Dans ce second cas, les risques de survenue d'une évolution métastatique sont substantiels avec un taux de survie sans maladie évolutive de l'ordre de 30 à 40%, bien que l'absence de fait nouveau, 8 ans après le traitement, soit un élément favorable.
D'aucuns considèrent que tout fait nouveau en rapport avec cet antécédent cancérologique serait susceptible de nécessiter des traitements pouvant mettre en jeu le 25 ième amendement de la constitution américaine, c'est à dire le remplacement du président par le vice-président, ou plus exactement la vice-présidente en l'occurrence.
Le même article développe les risques liés au tabagisme de Barack Obama et le fait que Joe Biden n'ait pas fait l'objet d'une vérification neuroradiologique récente de l'état de son cerveau, même 20 ans après son accident hémorragique.
Si le docteur Altman constate, et regrette, une régression dans le niveau d'information sur l'état de santé des candidats par rapport aux précédentes campagnes électorales américaines, on ne perçoit toujours pas bien en quoi ces informations, complètes ou incomplètes, ont une pertinence politique pour l'avenir hormis leur impact électoral immédiat éventuel.
(*) nodule en transit : formation nodulaire, palpable et parfois visible, enchâssée dans l'épaisseur de la peau traduisant l'extension et le développement dans les voies lymphatiques de drainage de cellules tumorales issues d'une tumeur primitive souvent elle-même cutanée (carcinome cutané, mélanome malin).

mercredi 29 octobre 2008

Hébergement des personnes dépendantes aux USA : peut mieux faire !

Le Département of Health and Human Services (DHHS) américain a publié le 18 septembre dernier un rapport sur les structures d'accueil médicalisé de long séjour, regroupées sous le terme générique de "nursing homes". Ces établissements, au nombre d'environ 15000 aux USA pour plus d'1,5 million de résidents, ne sont pas réservés aux seules personnes âgées et ont l'obligation d'offrir une présence infirmière permanente.
On découvre à la lecture du rapport que plus de 90% de ces établissements ne respectaient pas en 2007 les standards édictés par les autorités fédérales. En outre, 17% d'entre eux montraient des insuffisances susceptibles d'entraîner une mise en danger immédiate de leurs pensionnaires comme des escarres infectées, des mélanges médicamenteux toxiques, une mauvaise nutrition voire une maltraitance ou un abandon complet. En 2007, le DHHS a reçu 37150 plaintes, près de 40% ayant donné lieu à des enquêtes débouchant une fois sur cinq sur la mise en évidence d'une maltraitance des résidents.
Environ deux tiers des "nursing homes" sont la propriété de compagnies commerciales, 27% relèvent d'organisations non lucratives et 6% du gouvernement fédéral. Le rapport fait apparaître que 94% des établissements à but lucratif présentent des défaillances par rapport aux règles fédérales, pour "seulement" 88% et 91% pour les deux autres catégories. En outre, le nombre d'anomalies constatées dans chaque établissement est plus élevé dans les structures commerciales. Les écarts portent essentiellement sur le nombre de personnels et/ou leur qualification, la facturation au Medicare(*) ou au Medicaid(**) d'actes fictifs, la surcotation de l'état de santé des résidents pour bénéficier d'un forfait plus élevé. Il existe par ailleurs des différences suivant les états, la fréquence des anomalies constatées étant plus importante dans le Middle West, en Alaska ...ou dans le district de Columbia (Washington) que dans le Rhode Island (76%).
Comme quoi, la prise en charge des personnes dépendantes que ce soit à cause de l'âge ou de handicaps divers, est loin d'être parfaite même dans la première puissance économique du monde qui consacre les sommes les plus importantes par habitant pour son système de santé. Il semble par ailleurs que la privatisation de ce volet du système de santé n'apporte pas que des avantages, tout au moins aux USA... En France, les pouvoirs publics ont pris récemment la décision de multiplier les contrôles inopinés des EHPAD (Etablissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes) ; espérons que les résultats de ces inspections fassent l'objet d'une publication aussi transparente qu'outre-atlantique.

(*) Medicare : programme national d'assurance de santé couvrant environ 40 millions d'américains âgés de plus de 65 ans ou présentant certains invalidités ou une insuffisance rénale chronique grave.
(**) Medicaid : programme national géré dans chaque état de façon différente, prenant en charge tout ou partie des frais de santé sous conditions de ressources.

mardi 28 octobre 2008

Et pour une livre de plus ...vous ne serez pas hospitalisé !

Cela peut paraître quelque peu loufoque mais c'est effectivement ce qui se passe dans certaines parties de l'Angleterre, en l'occurrence le territoire couvert par l'Oxfordshire Primary Care Trust qui organise le recours médical de premier niveau dans cette région.
Le médecin généraliste reçoit 1£ par patient si après réflexion, en particulier en sollicitant l'avis d'un référent hospitalier, il annule l'hospitalisation d'un de ses patients et une autre livre supplémentaire par nom inscrit sur la liste d'attente chirurgicale s'il réduit son taux d'adressage par rapport à l'année précédente. Sur les 82 médecins généralistes concernés, 80 ont acceptés de rentrer dans ce système qui tend à se généraliser dans le pays malgré les mises en garde du NHS’s National Institute for Health Research (NIHR) (*) qui redoute que cet encouragement financier à la diminution des hospitalisations concerne aussi bien les situations qui le méritent que celles qui peuvent s'en dispenser.
Ces initiatives sont nées après le constat d'une forte augmentation des hospitalisations en 2007, voisine de 16% sur l'ensemble du territoire et de 8% dans le cas particulier du territoire oxfordien qui espère en donnant 1,2 million de livres aux généralistes économiser 6 millions de livres de frais d'hospitalisation.
De nombreuses voix, notamment au sein des sociétés savantes médicales, se sont élevées contre ce système qui, au passage, peut compromettre les hospitalisations à but purement diagnostique. Les promoteurs de cette initiative font toutefois observer que les jeunes médecins, qui ont les taux les plus élevés de demandes d'hospitalisation, sont ainsi incités à discuter avec des confrères plus expérimentés avant de décider de l'hospitalisation, limitant ainsi les risques de ne pas hospitaliser un patient qui en fait le nécessite.
Cet exemple que l'on peut qualifier de pragmatisme britannique et qui ferait certainement hurler en France, n'en pose pas moins la question cruciale de la fluidité des relations entre la médecine dite "de ville" et l'hôpital. Il paraît probablement pertinent de faire sortir de temps en temps les spécialistes hospitaliers des murs de leur établissement et à l'inverse de faciliter l'accès des médecins généralistes à leurs confrères spécialisés, comme le préconise certaines des dispositions de la loi "Hôpital patients, santé et territoires" prochainement en discussion à l'Assemblée. Les patients auraient tout à y gagner sans recourir forcément à des incitations financières directes au bénéfice de leurs médecins dont on peut facilement anticiper des effets pervers déjà constatés là où de tels systèmes existent déjà (voir dans ce blog).

(*) National Institute for Health Research, équivalent britannique de l'INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) français, directement rattaché au National Health Service (NHS) .

lundi 27 octobre 2008

Test prédictif Ovasure - suite ...et sans doute pas fin.

La société LabCorp (Laboratory Corporation of America) a décidé vendredi 24 octobre de suspendre la commercialisation de son test prédictif OVASURE. Cette décision fait suite à la ferme mise en garde exprimée par la Food and Drug Administration (FDA) il y a quelques semaines. L'information a été transmise à la SEC (Securities and Exchange Commission) organisme de contrôle des transactions boursières ce qui démontre, si besoin était, la relation étroite qui existe entre la mise sur le marché de ces tests prédictifs et les bénéfices économiques qui en découlent.
LabCorp a déclaré que sa décision était motivée par le souci de conserver des relations positives et confiantes avec les agences de régulation sanitaire bien que la société considère toujours que la décision de la FDA soit contestable. En effet, comme cela a déjà été dit (voir dans ce blog), l'argument majeur de la FDA repose sur le fait que le test n'a pas été élaboré par LabCorp lui-même mais par les chercheurs de Yale ce qui donne alors à la FDA le pouvoir de contrôler la validité scientifique du procédé, ce qui n'aurait pas été le cas si LabCorp avait été le seul concepteur et diffuseur de ce test diagnostique.
Quelque soit l'ambiguïté juridique de la situation, on ne peut que se féliciter du fait que l'agence sanitaire américaine, comme d'ailleurs celles des autres pays, ait un droit de regard sur la mise sur le marché de ces tests diagnostiques prédictifs dont l'efflorescence actuelle mérite d'être sérieusement régulée pour éviter que les patients, réels ou supposés, ne fassent les frais d'initiatives hâtives et incontrôlées, parfois plus commercialement habiles que scientifiquement éprouvées.

vendredi 24 octobre 2008

Information du public sur les cancers : peut mieux faire !

La Ligue nationale contre le cancer a récemment commandé un sondage à l'IFOP dans le cadre de la préparation de la convention qu'elle organise à Paris le 23 novembre prochain sur le thème de "la Société face au cancer".
Plus de 80% des répondants se dont dits directement concernés par le thème, mais curieusement seuls 3% ont déclarés avoir été atteint d'un cancer au cours de l'année écoulée, ce qui, compte tenu de la taille de l'échantillon, correspond à environ 140 000 nouveaux cancers alors que l'incidence annuelle réelle est de 320 000; ceci laisse supposer que le sondage n'a pas porté sur toutes les catégories d'âge ou qu'il existe une sous déclaration spontanée, ce qui est tout à fait possible. On peut par ailleurs regretter que les questions portent sur le cancer et non sur les cancers, ce qui conduit à une globalisation des questions et des réponses masquant la grande diversité des pathologies concernées, de leur pronostic et de leur traitement.
Mais l'élément le plus original est que 73% des personnes interrogées disent être assez bien ou très bien informées sur le cancer, pour l'essentiel (80%) par leur médecin. Ce résultat apparaît a priori comme positif notamment pour ses conséquences sur l'adhésion aux démarches de prévention et de diagnostic précoce.
Toutefois, cet optimisme est à tempérer au vu des réponses aux questions suivantes. Ainsi 91% des sondés estiment que les traitements ont beaucoup évolué au cours des dernières années ce qui ne correspond pas à la réalité dans la mesure où, si des avancées indéniables ont été effectuées notamment dans le traitement de maladies rares et/ou en phase de dissémination, le traitement curatif des cancers les plus fréquents repose toujours sur la combinaison harmonieuse de la chirurgie, de la radiothérapie et dans certains cas de la chimiothérapie. A l'inverse, 24% des personnes interrogées estiment qu'il n'y a pas de traitements réellement efficaces contre le cancer, ce qui témoigne, pour une proportion importante de la population, d'une méconnaissance profonde de la réalité actuelle où plus d'un patient sur deux est guéri.
Plus loin, 36%, ce qui est considérable, pensent que le cancer est une maladie héréditaire alors que cela ne concerne en fait que moins de 5% des cancers. Là encore, l'utilisation du mot cancer au singulier a probablement un effet d'amplification de ces réponses erronées. Un tiers des répondants (30%) affirment que le cancer est une maladie chronique; l'ambiguïté de la question posée ne permettant pas de distinguer ceux qui pensent que le cancer est une maladie d'évolution chronique quoique l'on fasse, ce qui est faux, de ceux qui pensent que le cancer est de constitution lente sur plusieurs années voire dizaine d'années, ce qui par contre est vrai. 93% des sondés pensent qu'il est plutôt difficile de travailler quand on est atteint d'un cancer, ce qui n'est évidemment pas vrai dans tous les cas en fonction de l'âge, du type de pathologie et de traitement ainsi que du métier exercé.
A la question "parmi les acteurs suivants, quels sont ceux auxquels vous faites le plus confiance pour s'occuper en priorité du problème du cancer en France ?", les personnes interrogées répondent à 86% les chercheurs, les médecins étant cités par 73% et l'état par 26%. Ces réponses traduisent bien l'espérance forte que place le public dans les avancées de la recherche, ce qui est bien sûr positif, mais également quelque peu ambigu avec le risque de déresponsabilisation collective vis à vis des soins actuels et surtout des démarches de prévention et de diagnostic précoce, la recherche devant trouver "la solution du cancer" présenté là encore comme une maladie unique.
Enfin, garantir l'équité d'accès au traitement est considéré comme indispensable par plus de 70% des personnes interrogées. Cette réponse traduit là encore une connaissance approximative de la réalité, dans la mesure où la France est un des pays au monde où l'accès aux soins est le plus équitable; par contre s'il existe des inégalités, c'est vis à vis des risques de survenue d'un cancer et dans l'accès aux soins innovants compte tenu de la médiocre diffusion de la recherche clinique.
Au total, même si les français semblent penser qu'ils sont bien informés sur les cancers, il reste manifestement du pain sur la planche pour que ce sentiment devienne une réalité plus effective.

jeudi 23 octobre 2008

Le gris est parfois la couleur du marketing pharmaceutique

Les laboratoires Pfizer sont poursuivis devant la cour fédérale de Boston par plusieurs plaignants, dont des associations de consommateurs et des compagnies d'assurances de santé, qui accusent l'industriel de la pharmacie d'avoir promu des indications nouvelles de son célèbre anti-épileptique, le Neurontin (gabapentine), sans avoir la preuve de son efficacité et même en dissimulant des éléments en faveur de son inefficience.
Les faits remontent au début des années 2000, époque à laquelle Pfizer développait une stratégie visant à étendre la prescription du Neurontin à d'autres indications que l'épilepsie comme les troubles psychologiques bipolaires (*), le traitement de certaines douleurs ou la prévention de la migraine. Ces prescriptions en dehors de l'indication de référence, auraient rapporté, selon le New York Times, environ 3 milliards de dollars par an et ce jusqu'en 2004, date à partir de laquelle le Neurontin a perdu la protection de son brevet initial et a donc pu être proposé sous une forme générique.
Les experts commis ont déclaré devant la cour fédérale que Pfizer avait développé une tactique consistant à retarder la publication des essais comportant des résultats négatifs, à mélanger les résultats négatifs avec des données positives pour en atténuer l'effet et de façon générale à présenter les résultats de façon flatteuse. Les mêmes experts relèvent que l'industriel a complètement contrôlé l'ensemble des études cliniques, "brouillant en cela les frontières entre science et marketing". Un des experts commis ajoute que parmi les 21 études cliniques consacrées à ces "nouvelles" indications du Neurontin, 5 étaient positives et 16 négatives, et que, de plus, parmi les 5 études positives, 4 avaient été publiées sous forme d'articles alors que seulement 6 des études négatives avaient donné lieu à des articles dont deux sous forme de simples résumés.
Indépendamment des conséquences judiciaires éventuelles de cette affaire, le résultat de ces expertises pose une fois de plus le problème de la littérature scientifique dite "grise", c'est à dire de celle qui est est peu ou pas accessible dans la mesure où elle n'est pas (ou mal) publiée. En effet, d'aucuns peuvent ne pas souhaiter que certaines données soient révélées et ce pour des raisons diverses qui peuvent être commerciales comme cela semble être le cas dans l'affaire concernant Pfizer.
Il ne s'agit pas là d'un phénomène nouveau, mais sa persistance et ses éventuelles conséquences dommageables pour les patients restent préoccupantes. Le biais de publication est devenu perceptible avec le développement des méta-analyses (**), même si cette technique comporte des moyens capables de le déceler. C'est ainsi qu'il a été montré (***) que le fait d'éliminer d'une analyse récapitulative ou méta-analyse, les résultats des essais non publiés majorait l'effet décrit d'environ 15% et qu'éliminer ceux publiés uniquement sous forme de résumés conduisait à une surestimation de plus de 30%.
Le moyen le plus efficace de réduire ce biais est la constitution de registres prospectifs d'essais dans lesquels les démarches de recherche clinique sont systématiquement inventoriées lors de leur mise en place. Ceci permet d'avoir accès aux protocoles d'étude et d'en garder la mémoire même si leurs résultats ne sont jamais publiés. Il existe aujourd'hui de multiples registres nationaux et internationaux, comme en France celui de l'AFSSAPS ou celui du NIH aux USA ; il existe par ailleurs une tentative internationale d'exhaustivité baptisée Current Controlled Trials. En 2004, la décision de l'association internationale des éditeurs de journaux médicaux (ICMJE), de ne publier les résultats que des essais dûment déclarés à un registre officiel est venue renforcer le dispositif qui devrait ainsi devenir une règle internationale intangible, théoriquement capable de lever les doutes qui entachent parfois les résultats issus de la recherche clinique.

(*) Troubles bipolaires : troubles psychologiques caractérisés par la succession de phases hyperactives dites maniaques et de phases dépressives.
(**) Méta-analyse : démarche statistique combinant les résultats de plusieurs études indépendantes, éventuellement contradictoires, portant sur un problème identique; elle permet par l'augmentation du nombre de cas étudiés d'améliorer la précision d'analyse. La méta-analyse permet une analyse plus précise des données par l'augmentation du nombre de cas étudiés et de tirer une conclusion globale.
(***) McAuley L, Ba'Pham, Tugwell P, Moher D. Does inclusion of gray literature influence estimates of intervention effectiveness reported in meta-analysis? Lancet 2000;356:1228-1231.

mardi 21 octobre 2008

Le rapport Eurothine

Le projet Eurothine, démarche collaborative internationale initiée par la Commission Européenne en 2004 et formellement achevée en 2007, a pour objectif de mesurer les inégalités de santé en Europe et de dégager des stratégies pour les réduire. L'étude qui a mobilisé plus de 50 chercheurs européens est alimentée d'une part par les données épidémiologiques, sociales, économiques émanant des pays de la communauté contributeurs au projet et d'autre part par les éléments recueillis lors d'interviews de plusieurs dizaines de milliers d'européens répartis dans plus de 20 pays de l'union.
Une partie de ce très important travail de recueil et d'analyse est consacré à la mesure de l'influence des différents types de système de santé sur les inégalités d'état de santé observées et perçues au sein des populations européennes. Pour cette étude particulière, les pays sont répartis suivant 4 catégories socio-politiques : social démocratie, démocratie chrétienne, démocratie libérale et démocraties "tardives " (Espagne et Portugal). Les inégalités d'état de santé sont présentes dans tous les types socio-politiques mais sont plus marquées dans les démocraties dites "tardives", y compris en tenant compte du niveau d'études qui reste un paramètre discriminant majeur dans tous les pays.
Pour ce qui est des différents types de régimes de protection sociale, les pays du sud de l'Europe (Espagne, Portugal, Italie, Grèce) présentent les plus fortes inégalités, sauf pour les patients présentant des maladies chroniques, alors que les pays ayant adopté un système de type "bismarckien" (*), dont la France, ont les plus faibles. Pour ce qui est des autres systèmes, les pays scandinaves sont moins bien placés que les régimes anglo-saxons libéraux ou est-européens, peut-être que parce que l'attente y est plus forte compte tenu d'un niveau sanitaire moyen déjà très élevé.
Enfin les inégalités homme-femme en matière d'état perçu de santé montrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à décrire leur état de santé comme mauvais ou médiocre dans plusieurs pays, alors que dans d'autres (Belgique, France, Allemagne, Irlande), il n' a pas été trouvé de différences. Il reste difficile de tirer des conclusions définitives de ces études statistiques complexes, mais il semble se dégager un avantage en faveur des systèmes de protection sociale fondés sur la solidarité collective mutualisée comme le réalise le système français d'assurance maladie universelle. Néanmoins, il persiste dans tous les cas des inégalités d'état de santé que les auteurs de ce rapport pensent correctibles sous réserve de décisions politiques fortes portant notamment sur l'éducation et le niveau d'emploi.

(*) Bismarckien : du nom du chancelier Otto von Bismarck (1815-1898) qui mit en place un tel système en Allemagne au XIXième siècle ; se dit d'un système de protection sociale obligatoire s'adressant préférentiellement aux travailleurs dans une logique assurantielle, alimenté par les cotisations prélevées sur les salaires et dont la gestion est confiée aux partenaires sociaux. On lui oppose habituellement les systèmes dits "beveridgiens", du nom d'un économiste anglais William Henry Beveridge (1879-1963), dont l'objectif est d'assurer une protection sociale uniforme minimale à tous les citoyens alimentée par l'impôt.

lundi 20 octobre 2008

La démographie des médecins généralistes : il y a pire ailleurs !

Si le dernier choix des étudiants en médecine français reçus à l'examen classant national (ancien internat) a montré un rebond en faveur de la médecine générale, la diminution prévisible du nombre de praticiens généralistes est toutefois loin d'être enrayée. La situation paraît encore pire dans d'autres pays comme par exemple aux USA où la raréfaction des omnipraticiens est patente depuis de nombreuses années.
Ainsi, un article récent publié dans le JAMA (*) rapporte qu'environ un quart des étudiants en médecine américains a choisi en 2007 la médecine interne et que seulement 2% envisagent de l'exercer comme médecin généraliste. Les étudiants interrogés dans cette étude (1177) verbalisent clairement le fait qu'ils ne souhaitent pas s'occuper de personnes âgées présentant des pathologies multiples et complexes même s'ils savent pertinemment que dans l'avenir ce genre de compétences médicales sera hautement nécessaire compte tenu du vieillissement de la population. Ces mêmes étudiants invoquent également la lourdeur du travail administratif, la nécessité d'avoir une grande variété de connaissances et bien sûr la moindre rémunération comparée à celle des spécialistes.
Les auteurs de l'article suggèrent qu'une meilleure formation à la relation médecin malade dans le cadre du développement de techniques comme celles visant à favoriser "l'intelligence émotionnelle" serait de nature à mieux préparer les étudiants à un exercice moins technique et plus relationnel comme le réalise celui de la médecine générale.
Quoiqu'il en soit de multiples études ont montré que la qualité globale des soins diminuait avec la baisse du nombre de praticiens généralistes, certains ajoutant même que cette diminution était d'autant plus forte que le nombre de médecins spécialistes augmentait (Voir dans ce blog Les surprises (!) du Medicare). Il s'agit donc là d'un vrai problème de santé publique qui, sous des formes parfois différentes, n'en concerne pas moins l'ensemble des pays développés.

(*) JAMA : Journal of American Medical Association
Factors Associated With Medical Students' Career Choices Regarding Internal Medicine
Karen E. Hauer & colleagues. JAMA. 2008;300(10):1154-1164

vendredi 17 octobre 2008

Vers une publication nominative des rémunérations versées par les laboratoires pharmaceutiques...aux USA.

Il y a quelques jours, la presse américaine s'est fait l'écho d'une déclaration du CEO (*) d'Eli Lilly & Company annonçant qu'à partir de l'année prochaine, il allait publier sur internet l'ensemble des rémunérations que sa société verse aux médecins qui assurent des actions de promotion ou de conseil à son profit. Il a ajouté que cette publication comporterait "probablement" le nom des médecins concernés ou des éléments permettant de les identifier ainsi que les raisons de ces rémunérations. Dans la même veine, Merk & Company a fait part d'une intention similaire pour 2009.
Ces "initiatives" sont en partie le résultat d'une forte pression des membres du congrès américain qui ont découvert que d'éminents chercheurs avaient "oublié" de déclarer plusieurs millions de dollars provenant de l'industrie pharmaceutique, ce que les responsables des établissements hospitaliers ou les éditeurs de journaux scientifiques savent depuis longtemps sans pour autant avoir les moyens de le vérifier formellement. Une décision du congrès portant le nom de "Physician Payments Sunshine Act" devrait être prise l'année prochaine obligeant à la publication des rémunérations versés par les industriels. Il est d'ailleurs probable que la seule perspective d'une publication nominative de ces rémunérations dissuade bon nombre de médecins de les accepter.
Les gratifications versées par les industriels prennent deux formes essentielles, les honoraires versés pour des interventions en faveur de leurs produits souvent au décours d'activités dites conviviales et ceux découlant d'une activité de consultant lors de la mise au point d'un nouveau produit ou de la confection d'un essai clinique. Il est évident que ces sommes, parfois très élevées, sont susceptibles de biaiser l'interprétation des résultats des études ou d'influencer les habitudes de prescription.
Aux USA, seuls les états du Minnesota et du Vermont enregistrent systématiquement ces paiements. C'est ainsi que de 1997 à 2005, les industriels ont versé à 5500 médecins, infirmières ou autres soignants du Minnesota 57 millions de dollars auxquels il faut ajouter 40 millions de dollars pour les hôpitaux et les laboratoires de recherche. Dans le Vermont, le marketing industriel a conduit en un an au versement de 2,25 millions de dollars en honoraires, frais de déplacement et autres rémunérations. Environ 20% des médecins de cet état sont destinataires de ces gratifications.
En France, il n'est pas possible d'avoir accès à de tels chiffres dont il n'est pas certain que quiconque en ait une maîtrise consolidée réelle, malgré les dispositions maintenant anciennes qui ont confié à l'ordre des médecins le soin de veiller à la qualité éthique de la relation entre praticiens et industriels de la santé. L'absence de chiffres ne signifie pas l'absence de problème, bien au contraire, et il est hautement probable que tout le monde aurait à gagner à une meilleure lisibilité de ces relations complexes ne serait-ce que pour les faciliter tant il vrai que bon nombre d'avancées médicales et scientifiques sont nées et naîtront de la collaboration entre praticiens, chercheurs et industriels. Pour éviter que ces rapprochements bénéfiques soient entachés de suspicion, il paraît nécessaire de les débarrasser de toute ambiguïté pour respecter pleinement les engagements pris par les soignants vis à vis de leurs concitoyens.
(*) CEO : Chief Executive Officer

mercredi 15 octobre 2008

Imagerie médicale : comparaisons européennes peu flatteuses pour la France

Parmi les multiples indicateurs établis par les services de la communauté européenne, certains concernent l'état de santé de la population explorée à travers plusieurs paramètres dont la liste a été établie dans le cadre de l'actuel programme communautaire de santé publique. Au titre de l'activité hospitalière, figure le nombre de scanners et d'IRM par million d'habitants. La lecture des tableaux comparatifs, actualisés en 2008 pour les données de 2006, montre que la France est placée en queue de peloton aussi bien pour les scanners que les IRM, avec respectivement des taux de 10 et de 5,3. Elle n'est suivie que par la Hongie, la Pologne ... et le Royaume-Uni pour ce qui concerne les scanners, la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie pour ce qui est des IRM. Pour mémoire, il existe, toujours pour 1 million d'habitants, près de 40 scanners en Belgique, 30 en Autriche, 26 au Portugal...et 34 aux USA. Pour les IRM, il y a presque deux fois plus d'appareils installés en Espagne qu'en France, trois fois plus en Autriche ou en Suisse, 5 fois plus aux USA.
Comment expliquer que nous nous retrouvions dans cette situation médiocre alors que la France est historiquement un des berceaux majeurs du développement de la radiologie et de son industrie bien que cette dernière ait disparue de l'héxagone depuis bien des années?
Traditionnellement, la France a toujours été particulièrement rétive à la diffusion rapide des nouvelles technologies même quand elles avaient fait l'objet de multiples évaluations préalables à l'étranger. Ce fut le cas dans les années 70 pour les scanners et dans les années 90 pour les IRM. Si ces délais initiaux peuvent être justifiés par une certaine prudence vis à vis de l'innovation, leur durée excessive conduit à la situation actuelle que n'ont que partiellement corrigé les plans d'investissement successifs, Hôpital 2007 et 2012. En fait, le paradigme prévalent était, et reste encore en grande partie, que l'augmentation du nombre d'appareils entraîne mécaniquement une augmentation du nombre d'actes et de ce fait une dérive des coûts pour l'assurance maladie au moins dans le secteur privé commercial. Par ailleurs, au titre des conséquences de l'inquiètude précédente, il est couramment invoqué pour contribuer à expliquer la situation actuelle de l'imagerie médicale en France la responsabilité de procédures administratives tatillonnes nécessaires à la délivrance des autorisations d'installation, ce qui est peu contestable même depuis qu'elles sont devenues de gestion régionale sous l'autorité des ARH (*).
Certes, ces éléments expliquent en partie le retard conséquent qu'a pris la France en matière d'équipements modernes d'imagerie médicale, retard qui comporte de multiples conséquences pour la qualité de prise en charge des patients y compris en termes d'égalité du fait de différences inter-régionales considérables. Ainsi, les délais d'attente pour bénéficier d'un examen par IRM varient, si l'on en croit la publication récente de l'association Image Santé Avenir, regroupant les constructeurs, entre 22 jours en Ile de France ou en Midi-Pyrénées et 71 jours en Lorraine ou 74 jours en Corse.
Pour rester sur ce dernier élément, on peut remarquer que ces délais sont inversement proportionnels à la densité médicale et notamment celle des spécialistes libéraux, cette dernière suivant d'ailleurs fidèlement le nombre d'appareils installés. Ainsi, les délais d'accès à l'IRM les plus courts sont constatés en Ile de France et dans le sud du pays.
En conséquence, on peut raisonnablement avancer que le fait que la France soit un des pays européens présentant le secteur privé commercial le plus développé, notamment en imagerie médicale (75% des praticiens), a participé à la constitution d'un retard d'équipement conséquent par rapport à nos voisins y compris ceux réputés pendant longtemps mal dotés comme l'Espagne.
En effet, il est très probable que cette structure particulière de l'offre de soins ait joué contre le desserrement des indices de population qui au sein de la célèbre carte sanitaire, aujourd'hui en grande partie abolie, ont encadré administrativement pendant de nombreuses années le nombre d'installations possibles dans un bassin de population donné, par peur d'un dérapage des coûts du fait du paiement à l'acte. Mais on peut également faire l'hypothèse que la même structure de rémunération ait plus ou moins délibérément agit dans le même sens, en conservant dans les mains d'un nombre relativement faible de praticiens les moyens d'imagerie.
Quoiqu'il en soit, certains faits sont avérés : d'une part les radiologues sont parmi les médecins spécialistes libéraux ceux qui bénéficient en France des plus hauts revenus et, d'autre part, les difficultés démographiques médicales qui nous attendent, notamment à partir de 2015 vont limiter encore le nombre de radiologues et donc, par construction, d'appareillages.
Ceci revient à dire que la pénurie relative en offre d'imagerie médicale va perdurer en France pendant encore longtemps et que par ailleurs la place originale par rapport aux autres pays européens du secteur privé dans cette offre ne semble pas l'avoir empêché qu'elle soit aujourd'hui insuffisante et mal répartie sur le territoire.

(*) ARH : agence régionale de l'hospitalisation devant devenir prochainement une agence régionale de santé (ARS) en englobant le volet médico-social.

mardi 14 octobre 2008

Test biologique prédictif Ovasure (suite)

Dans un précédent message (Polémique autour d'un test de diagnostic précoce en "libre service"), j'avais fait part des réserves émises par la FDA (*) à l'encontre d'un test biologique (OVASURE) censé faciliter le diagnostic précoce des cancers de l'ovaire chez les femmes à risque.
La suite ne s'est pas faite attendre puisque la même FDA a adressé le 29 septembre dernier une lettre de mise en garde à la société Labcorp lui enjoignant instamment de mettre fin à la commercialisation de son test débutée en juin dernier.
Les attendus contenus dans ce courrier révèlent que le refus d'approbation de ce test par la FDA ne repose pas sur sa performance éventuellement discutable mais plutôt sur le fait qu'il n'a pas été mis au point par le laboratoire qui le commercialise. En effet, les tests biologiques diagnostiques ne sont pas contrôlés par la FDA quand c'est le laboratoire lui-même qui a mis au point la technique et qui effectue l'analyse. Dans le cas particulier, ce sont des travaux de recherche effectués au sein de l'université de Yale qui ont permis son élaboration, LabCorp n'ayant semble-t-il qu'un rôle de diffuseur commercial.
Il s'agit là d'un nouvel épisode de la régulation difficile des nombreux tests biologiques prédictifs qui apparaissent au fil du développement de la génomique (**) et de la protéomique (***) . Régulièrement, les industriels souhaitent une mise sur le marché la plus rapide possible compte tenu d'un potentiel de plus-value économique considérable même si la gestion des résultats aussi bien positifs que négatifs soulèvent en fait de multiples problèmes de résolution pratique difficile. En outre, les responsables des laboratoires industriels arguent du fait que si une régulation tatillonne était mise en place, elle ralentirait l'innovation en dégradant le modèle économique. D'ailleurs, le titre LabCorp perdait le même jour 2% au NYSE (****).
Aujourd'hui, plusieurs centaines de laboratoires de par le monde proposent des tests prédictifs pour plus de 1200 pathologies différentes. A titre d'exemple, pratiquement au même moment, une société Islandaise, Decode Genetics, propose un test génomique prédictif du risque de cancer du sein pour le prix de 1625 dollars (!). Ce test est présenté comme prédictif des formes les plus courantes de cancers du sein au-delà des formes familiales liées à la présence d'une mutation des gènes BCRA 1 et 2 qui ne représentent que moins de 5% des cancers du sein.
Quand on interroge le responsable de Decode Genetics sur l'attitude à adopter en cas de test décelant un sur-risque, la réponse est toute trouvée : surveillance rapprochée par IRM mammaire et prise prophylactique de tamoxifène (*****). Pour les autres, surveillance clinique et mammographique habituelle. Pourquoi pas, mais à la condition expresse que les valeurs prédictives, positive et négative, de ce test soient effectives et complètement validées par des études indépendantes, ce qui à ce jour n'est manifestement pas le cas.
Suite au prochain épisode qui ne manquera pas de survenir rapidement.

(*) FDA : Federal Drug Administration
(**) Génomique : étude des gènes , fragments d'acide désoxyribonucléique (ADN) constituant majeur des chromosomes.
(***) Protéomique : étude du protéome c'st à dire de l'ensemble des protéines.
(****) NYSE : New York Stock Exchange, bourse de New York
(*****) Tamoxifène : médicament bloquant les récepteurs aux hormones oestrogènes situés dans les cellules mammaires. Utilisé dans le traitement des cancers du sein.

lundi 13 octobre 2008

Les soins découlant d'une erreur médicale ne seront plus remboursés...aux USA.

Un nombre de plus en plus grand d'assureurs américains, y compris le Medicare, ont décidé de ne plus rembourser les soins découlant d'une erreur médicale. Ceci s'accompagne dans plusieurs états de l'interdiction faite aux établissements de facturer à leurs patients les soins qu'ils ont délivrés dans ce cadre, le premier a prendre cette initiative étant le Massachusetts. Cela revient à laisser à la charge de l'établissement, du praticien et de leurs assureurs respectifs, les coûts sanitaires des erreurs médicales indépendamment des conséquences financières de leurs suites contentieuses judiciaires éventuelles.
Des commissions spéciales rassemblant les hôpitaux, les médecins, les assureurs et les associations de consommateurs ont été mises en place dans les états concernés pour définir les conditions susceptibles de déboucher sur la non prise en charge des soins par les systèmes d'assurance de santé.
Pour ce qui est du Massachusetts, 28 situations ont été retenues, toutes considérées comme évitables et comportant des conséquences sérieuses pour le patient et l'établissement concerné. Cette liste, révisable périodiquement, comprend notamment les erreurs chirurgicales grossières comme l'erreur de côté, de patient, de procédure, de matériel laissé en place par inadvertance, mais aussi le décès per ou immédiatement postopératoire pour un patient de score ASA 1 (*). Y figurent également toutes les complications létales ou invalidantes dues à l'administration de produits ou l'utilisation de matériels contaminés. Viennent ensuite les mises en danger de patients comme la remise d'un enfant à une mauvaise personne, les suites létales ou invalidantes de la fugue d'un patient hospitalisé, comme d'ailleurs le suicide ou la tentative de suicide avec séquelles. Certains incidents de soins sont considérés comme exonérant les assureurs de la prise en charge de leurs conséquences sanitaires: erreur médicamenteuse, de la préparation à l'administration en passant bien sûr par la posologie, erreur d'histocompatibilité lors d'une transfusion sanguine, mais aussi accident du travail ou de la délivrance pour une grossesse à faible risque, hyperbilirubinémie néonatale non diagnostiquée, hypoglycémie létale ou avec séquelles, survenue d'escarres de stade 3 ou 4 après l'hospitalisation, manipulation vertébrale vulnérante et enfin erreur de sperme ou d'oeuf lors d'une fécondation artificielle.
Des incidents environnementaux en cours d'hospitalisation sont également listés comme les décès ou séquelles graves survenant après choc électrique, l'erreur de fluide médical, les brûlures, la chute, les accidents dûs à une contention ou à des barrières de lit. Pour finir, des actes qualifiés de "criminels" complètent la liste : usurpation de la qualité de soignant, enlèvement, agression sexuelle, agression physique.
En France, l'assurance maladie n'est pas en mesure de suspendre le remboursement des soins mais peut par contre engager une démarche contentieuse soit dans le cadre de la déclaration faite par le patient pour "accident causé par un tiers" catégorie dans laquelle s'inscrit l'erreur médicale potentielle soit, quand l'erreur médicale a fait l'objet d'un contentieux judiciaire, au moyen d'une action dite subrogatoire visant à récupérer à son profit une partie des indemnités décidées par la justice. Il est sûr que ces procédures sont moins directes que celles en vigueur aux USA dont il faudra toutefois suivre les conditions d'application et les inévitables imperfections qu'elles comportent.

(*) Le score ASA a été mis au point 1941 par la société américaine des anesthésistes (American Society of Anesthesiologists, ASA). Il est utilisé pour exprimer l'état de santé préopératoire d'un patient et pour estimer ainsi le risque anesthésique.

vendredi 10 octobre 2008

Le classement 2008 des hôpitaux américains

Même si les classements des hôpitaux qui paraissent régulièrement dans la presse suscitent des critiques multiples, souvent fondées, il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un élément incontournable du paysage sanitaire français que l'on y soit favorable ou pas.
Aux Etats-Unis, US News & World a publié en juillet dernier le classement 2008 des hôpitaux nord-américains dont la méthodologie et l'expression des résultats ont été confiées à RTI International, Research Triangle Park, N.C. Seize spécialités sont étudiées, au moins une d'entre elles étant présente dans les 1569 établissements classés. L'évaluation porte sur la réputation (nombre de citations à partir d'un panel de 200 médecins de chaque spécialité), le taux de mortalité (taux de décès dans les 30 jours après l'admission corrigé des conditions pathologiques et comparé au taux attendu) ainsi que d'autres paramètres décrivant la qualité des soins comme le plateau technique, le nombre d'admissions, le taux d'encadrement en personnel soignant infirmier, etc... Pour les spécialités où la mortalité est très faible voire nulle (ophtalmologie, psychiatrie, réhabilitation, rhumatologie), la réputation et les éléments de qualité des soins sont uniquement pris en compte.
Seuls, 170 établissements sont en mesure d'être évalués pour l'ensemble des 16 spécialités retenues, ce qui donne le classement suivant pour ce qui est des dix premiers:
1 - John Hopkins Hospital, Baltimore, MD
2 - Mayo Clinic, Rochester, MN
3 - Ronald Reagan UCLA Medical center, Los Angeles, CA
4 - Cleveland Clinic, Cleveland, OH
5 - Massachusetts General Hospital, Boston, MA
6 - New-York Presbyterian University Hospital of Columbia and Cornell, New York, NY
7 - University of California, San Francisco Medical Center, San Fransisco, CA
8 - Brigham & Women's Hospital, Boston, MA
9 - Duke University Medical Center, Durham, NC
10 -Hospital of the University of Pennsylvania, Philadelphia, PA
Pour ce qui est de la cancérologie, le classement ne porte que sur 170 établissements dont 50 hôpitaux pédiatriques. Les 10 premiers établissements classés sont les suivants :
1 - University of Texas M.D. Anderson Cancer Center, Houston, TX
2 - Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, New-York, NY
3 - Johns Hopkins Hospital, Baltimore, MD
4 - Mayo Clinic, Rochester, MN
5 - Dana Farber Cancer Institute, Boston, MA
6 - University of Washington Medical Center, Seattle, WA
7 - Massachusetts General Hospital, Boston, MA
8 - University of California San Francisco Medical Center, San Francisco, CA
9 - Standford Hospital and Clinics, Standford, CA
10 - Ronald Regan UCLA Medical Center, Los Angeles, CA
A priori, ce classement ne comporte pas de surprises majeures. On peut toutefois remarquer que les établissements situés en tête sont également ceux qui apparaissent régulièrement en excellente position dans les publications internationales pour la qualité de leurs travaux scientifiques. Ceci confirme qu'il n'y a pas de recherche médicale de haut niveau sans une grande qualité des soins, constat conduisant naturellement à s'interroger sur le bien fondé de la proposition inverse à savoir que l'absence de capacité d'innovation s'accompagnerait ou entraînerait une prise en charge soignante médiocre. Il peut toutefois s'agir d'une déduction hâtive, l'évolution progressive du contenu des démarches d'accréditation, aujourd'hui de certification, des établissements de santé français devant permettre à terme de lever cette ambiguité qui est bien loin d'être réduite par les classements produits par certains organes de presse qui font leur miel de cette carence collective actuelle.

jeudi 9 octobre 2008

Cela ne s'arrange pas !

Le deuxième baromètre de la pauvreté IPSOS/Secours populaire a été réalisé en août 2008 sur un échantillon de 1002 personnes de plus de 15 ans. Dans le souci de ne pas limiter l'évaluation de la pauvreté au seul aspect monétaire, les auteurs de cette étude y ont inclus un certain nombre d'autres paramètres d'appréciation (conditions de vie, accès à la culture, perception de l'avenir,...) parmi lesquels figure l'accès au système de soins et plus généralement l'état de santé.
Il en ressort qu'environ deux français sur 5 auraient déjà retardé ou renoncé à des soins à cause de leur coût, proportion dépassant un sur deux chez les plus pauvres. Ce sont bien entendu les prothèses dentaires et la lunetterie qui sont sacrifiées les premières, mais la consultation chez un spécialiste ou chez un dentiste, l'achat de médicaments, la réalisation d'examens biologiques ou radiologiques sont également concernés, la consultation chez le médecin généraliste n'étant évitée ou retardée que dans 14% des cas très majoritairement concentrés dans les foyers les plus pauvres. Il semble qu'en outre, la hausse récente du prix des carburants ait eu un impact négatif sur l'accès aux soins pour les français les moins fortunés résidant dans des zones où le maillage de l'offre de soins est particulièrement lâche.
L'enquête s'est également intéressée à la perception de leur santé par les sondés eux-mêmes ce qui permet de confirmer que le niveau de satisfaction des français vis à vis de leur état de santé est bien entendu corrélé à l'âge, mais que les plus pauvres décrivent une situation plus négative que les autres, la moitié avouant en outre être dans l'impossibilité de se nourrir de façon saine et équilibrée.
Il est évident que ces chiffres et leur tendance à l'aggravation au fil du temps font entrevoir dans l'avenir des difficultés sanitaires importantes éventuellement de nature à ralentir voire à inverser la croissance de la durée moyenne de vie avec une accentuation des disparités entre les "classes" sociales, comme cela est constatée dans certains pays et non des moindres comme les Etats-Unis .
Pour se limiter à la seule cancérologie, un mauvais état dentaire, une alimentation déséquilibrée favorisant l'obésité, un retard à la première consultation, éléments auxquels on peut ajouter des habitudes toxiques (alcool, tabac) plus répandues dans les milieux défavorisés, tous ces facteurs concourent à une probable augmentation de la fréquence des cancers dits "évitables" (poumon, ORL, colon,...). Il est sans doute temps de réajuster les messages de prévention, les stratégies de dépistage et de diagnostic précoce en fonction de leur faisabilité pratique effective pour éviter que selon l'adage classique il ne soit offert un imperméable qu'à celui qui a déjà un parapluie tout en laissant mouillé et transi celui qui n'a ni l'un ni l'autre. De toute façon, sauf à changer radicalement de paradigme social, si cette situation inquiétante était amenée à perdurer voire à s'aggraver, les coûts de la prise en charge de maladies devenues de plus en plus fréquentes et souvent de plus en plus graves car diagnostiquées tardivement, vont augmenter de façon importante et pèseront in fine sur tous y compris sur ceux dont la situation sociale et financière personnelle actuelle permet de recourir sans réelles contraintes au système de soins.

mercredi 8 octobre 2008

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Sous le titre accrocheur "Une première pour l'hospitalisation privée en France !", le groupe de cliniques OC-santé annonce sur son site qu'un de ses établissements, la clinique du Millénaire de Montpellier, propose désormais à ses patients la technique de radiochirurgie, en collaboration avec le centre anti-cancéreux de la même ville. Il s'agit donc d'un nouvel accès à cette technique particulière de radiothérapie (voir sur ce blog "Radiochirurgie: un néologisme ambigu") pour les patients de la région Languedoc-Roussillon, le CHU et le centre anti-cancéreux de Montpellier ayant déjà débuté cette activité depuis 2006.
Ce que l'on sait de l'épidémiologie spontanée des lésions endocérébrales susceptibles de bénéficier de ce type de traitement, c'est qu'elles sont relativement peu fréquentes et que la complexité technique, le coût humain et matériel de la radiochirurgie plaident en faveur de la concentration des patients sur des lieux de traitement peu nombreux et hautement spécialisés. Dans le cas particulier, il existe déjà des appareillages dédiés à la radiochirurgie aux CHU de Marseille et de Toulouse auxquels s'ajoute donc le site de Montpellier avec deux sites neurochirurgicaux, un public et l'autre privé, et un lieu unique d'irradiation.
Par ailleurs, la lecture, toujours sur le site d'OC-santé, de la description des modalités pratiques du traitement ne laisse pas de surprendre; en effet, le traitement semble nécessiter trois jours d'hospitalisation à la clinique du Millénaire et surtout il est réalisé sur deux sites géographiquement distincts ce qui conduit à deux transferts en ambulance pour le patient chaque fois avec le cadre stéréotaxique fixé sur son crâne !



Nul doute que les promoteurs de cette procédure ont veillé à ce que ces transferts ne fassent courir aucun risque au patient ni ne détériorent en aucune façon la précision géométrique indispensable à cette méthode de traitement. Il est également probable que le déroulement de la prise en charge soit le fruit d'un compromis entre les praticiens des deux structures, chacun exerçant sa spécialité dans son établissement, en l'occurrence le neurochirurgien dans le privé et le radiothérapeute dans le public. On ne peut cependant s'empêcher de penser que comme dans la tragédie classique, l'unité de lieu est souvent préférable et qu'en l'occurrence, la mise en place par un neurochirurgien d'un cadre stéréotaxique sous anesthésie locale est parfaitement possible en dehors d'un service spécialisé en neurochirurgie.

L'émergence dans toutes les villes de France, et chaque fois dans les deux secteurs d'exercice, de techniques médicales complexes et dangereuses concernant un nombre limité de patients, constitue à l'évidence une évolution discutable tant pour ce qui concerne la disponibilité réelle des compétences en tout lieu que pour ce qui est du niveau cumulé des ressources humaines et techniques engagées. Cette situation deviendrait franchement inacceptable si cette multiplication de sites était pour tout ou partie le résultat d'un réflexe identitaire propre à une région, à une ville ou à un secteur d'exercice. Le titre choisi par OC-santé laisse penser que ce dernier aspect n'est peut-être pas complètement étranger à sa démarche.

Il semble que le temps soit largement venu pour que les frontières entre secteurs d'exercice ne soient plus à l'origine de complications inutiles, parfois préjudiciables à la qualité des prises en charge, à la condition bien entendu que le travail de chacun soit pleinement reconnu. Il est plus que probable que nous n'avons plus (si tant est que nous les ayons eu un jour) les moyens collectifs de cet émiettement dispendieux des savoir faire et des ressources.

mardi 7 octobre 2008

Troisième baromètre sur les français et leur santé : des paroles aux actes

L'IFOP (*) a réalisé au début de l'été dernier un sondage sur la perception qu'ont les français de leur système de santé. Cette étude faite à la demande des sociétés Kiria et Philips a interrogé "on-line" 1005 internautes de plus de 18 ans, considérés comme représentatifs de la population française, selon la formule consacrée.
Parmi une foule de résultats, d'où il ressort globalement que les français font preuve sur ce thème du pessimisme dont ils sont coutumiers dans bien d'autres domaines, un tableau attire plus particulièrement l'attention. Il s'agit de celui qui aborde la confiance que font a priori les français dans les structures de soins en fonction de divers types de pathologies ou de situations médicales qu'ils sont susceptibles de présenter. Sans surprise, les trois catégories retenues dans cette étude ("grands" et "petits" hôpitaux publics, hôpitaux privés) sont au même niveau de confiance pour ce qui est de la maternité ou des soins de suite et de réadaptation.
Par contre, les deux tiers des français interrogés font plutôt confiance aux "grands" hôpitaux publics pour ce qui est de la chirurgie et encore plus nettement pour la cancérologie. Il semble, que la gravité de la pathologie ou l'importance du traitement fassent pencher les réponses vers l'hôpital public que l'on peut supposer être universitaire plutôt que "grand" dans l'esprit de ceux qui ont répondu.
Le problème, c'est que la réalité est tout autre puisque les proportions sont en fait exactement inverses; en effet, globalement, plus des deux tiers des actes chirurgicaux sont réalisés dans le secteur privé commercial et pour ce qui est de la cancérologie, la proportion est du même ordre y compris pour la chimiothérapie et la radiothérapie.
Il ne s'agit pas d'une réelle surprise dans la mesure où les déclarations ne sont pas toujours cohérentes avec les actes. Dans le cas particulier on peut penser qu'il s'agit très majoritairement de réponses de "bien portants" qui de façon peu ou prou rationnelle indiquent leurs préférences "au cas où". Dans la pratique quotidienne, d'autres considérations rentrent en ligne de compte comme la proximité géographique, la réputation, les recommandations par des tiers, etc...sans oublier la connaissance effective par le patient de la nature de la pathologie dont il souffre.
Parmi ces éléments influençant le choix du lieu hospitalier de prise en charge, figure aussi l'idée qu'il existe une sorte de "proportionnalité" entre la taille, voire la réputation, de l'établissement et la gravité de la pathologie présentée. Avoir besoin de recourir à une institution réputée en cancérologie, a fortiori explicite dans sa dénomination, constitue aux yeux de beaucoup, patients et peut-être plus encore entourages, un fait significatif d'une situation médicale préoccupante voire désespérée. On peut alors comprendre, sans pour autant y souscrire, qu'à l'inverse le choix d'un établissement plus petit, neutre dans son intitulé, soit considéré par certains comme plus en accord avec le degré espéré de gravité.
Là encore, l'absence quasi complète d'indicateurs disponibles pour décrire la performance soignante effective des établissements de santé français se fait cruellement sentir, laissant béants les écarts paradoxaux entre les éléments déclaratifs récoltés dans ce sondage et les comportements constatés dans la vraie vie.

(*) IFOP : Institut Français d'Opinion Publique

lundi 6 octobre 2008

Bientôt le "one hundred per cent" pour le patient anglais ?

Le gouvernement travailliste de Gordon Brown s'apprête à exonérer les malades porteurs de cancer des frais qui restent à la charge des patients anglais pour tout achat de médicament en dehors de l'hospitalisation (7,10 £ par prescription ou un forfait annuel de 102,50 £ soit respectivement 9,3 et 127,1 euros).
Il s'agit là de la première étape d'un plan plus global visant à exonérer l'ensemble des patients porteurs de maladies chroniques des frais de médicaments, ce qui est déjà en place au Pays de Galles et va l'être prochainement en Ecosse. Le coût de cette réforme devrait être couvert par un recours accru aux médicaments génériques et une renégociation des contrats entre le NHS (*) et les laboratoires pharmaceutiques.
Bien entendu, les associations de patients porteurs d'autres maladies que les cancers protestent vivement et accusent le gouvernement anglais de discrimination, dans la mesure où le calendrier de l'extension de la mesure aux autres pathologies n'est pas précisé et qu'il devrait dépendre des économies financières réalisées par le NHS sur les médicaments.
Dans le même temps, le gouvernement anglais semble sur le point d'autoriser officiellement les patients hospitalisés dans les établissements du NHS à acquérir à leurs frais, dans le secteur privé, des médicaments qui ne font pas partie de la liste retenue par le NHS en vertu du principe "pay for value". Cette pratique, jusqu'ici officieuse, est considérée comme une source de discrimination sociale, son officialisation faisant bien entendu débat.
Il faut toutefois préciser que les médicaments sont d'ores et déjà gratuits pour certaines catégories de la population comme les plus de 60 ans ou ceux bénéficiant d'une aide sociale, mais que l'on estime cependant à 46%, les patients de moins de 55 ans qui ont à payer pour leurs médicaments anticancéreux.
Rappelons qu'en France, il existe une liste d'une trentaine d'affections dites de longue durée qui donnent droit à l'exonération complète du "ticket modérateur" c'est à dire du reste à charge pour le patient, et ce pour tous les soins en rapport avec la maladie en cause y compris les médicaments qu'ils soient administrés à l'hôpital ou en ville. Les cancers figurent bien entendu dans cette liste avec d'autres maladies dites chroniques que bien des pays, dont l'Angleterre, n'envisagent même pas d'inclure dans une quelconque mesure d'exonération.
Toutefois, le maintien dans l'avenir de ces dispositions "généreuses", qui émerveillent les retraités anglais qui ont choisi de passer leurs vieux jours dans notre pays, mérite l'attention de tous, public et politiques, patients et prescripteurs, pour éviter qu'elles ne deviennent insupportables aux "bien portants" avec le risque de briser le pacte social solidaire auquel nous sommes très majoritairement attachés.

(*) NHS: National Health Service, système de santé public du Royaume Uni, géré exclusivement par l'état sans participation des partenaires sociaux et financé par l'impôt.

vendredi 3 octobre 2008

Un mélanome malin dans la campagne

Au moins de mai dernier, un groupe de journalistes américains a pu consulter le bon millier de pages qui constituent le dossier médical du candidat républicain à la Maison Blanche, John Mac Cain. Une grande partie du dossier porte sur les multiples traitements et interventions chirurgicales qu'a subit le sénateur Mac Cain au retour de sa captivité au Viet-Nam.
Mais ce qui intéressait plus les journalistes, c'est le passé médical récent du candidat et notamment l'épisode chirurgical survenu en 2000 au cours duquel deux lésions pigmentées cutanées ont été enlevées, l'une au niveau du bras gauche, l'autre au niveau de la tempe également gauche.
Il s'agissait dans les deux cas de mélanomes malins, celui du bras étant une forme très superficielle dite in situ (*) et donc sans aucune gravité ; par contre, la lésion temporale était manifestement plus évoluée puisqu'il a été pratiqué une lymphoscintigraphie (**) et l'exérèse des ganglions situés en avant du pavillon de l'oreille avec ablation du lobe superficiel de la glande parotide. L'exérèse du mélanome temporal a été complète, les ganglions prélevés tous négatifs. Il n'y a donc pas eu de traitement complémentaire particulier.
La survenue d'un mélanome malin chez un sujet à peau et yeux clairs, ayant reçu une abondante exposition solaire au cours de sa vie, est une situation relativement fréquente et banale mais qui devient très médiatique quand elle concerne l'éventuel chef de la première puissance mondiale. Elle a été bien entendu exploitée par certaines officines électorales et fait l'objet d'un débat désordonné sur les multiples forums abordant les prochaines élections américaines.
Que faut-il en penser ? D'abord que les USA n'ont pas les pudeurs de certains pays de la "vieille Europe" comme la France où l'état de santé de leurs dirigeants reste souvent une zone d'ombre. Ensuite, qu'il est tout à fait probable que 8 ans après le traitement d'un mélanome malin de stade localisé (semble-t-il de stade IIA, fonction de l'épaisseur de la lésion et de son infiltration en profondeur dans la peau), les risques de survenue d'une extension métastatique sont inférieurs à 15%. Par ailleurs, qu'elle est l'espérance de vie moyenne d'un américain de 72 ans en 2008 ? En moyenne, elle est de l'ordre de 11 ans selon les données 2007 du NCHS (National Center for Health Statistics) ce qui laisse le temps pour un mandat présidentiel de 4 ans, voire pour deux, mais aussi pour la survenue d'une évolution du mélanome malin, même si cette éventualité reste peu probable.
Au total, même si la "transparence" sur l'état de santé des dirigeants apparaît comme une bonne chose aux yeux de beaucoup, l'utilisation pratique des données médicales les concernant paraît difficile sauf pour des officines électoralistes sans grands scrupules. En effet, s'il fallait définir pour chaque candidat ou occupant d'une position nationale éminente, les éléments susceptibles d'être considérés comme incompatibles avec la fonction briguée ou occupée, il serait quasi impossible de les déterminer avec pertinence. Par ailleurs, on sait que certains chefs d'état atteints d'une maladie grave et invalidante ont occupé leur mandat sans que l'on puisse démontrer clairement que leur état de santé a altéré la qualité de leurs décisions alors que la lecture de leur dossier médical aurait certainement suscité une vive émotion.
On peut probablement en conclure que ce marronnier de la vie publique est en grande partie artificiellement entretenu, la curiosité du public comportant une part d'identification rassurante, les puissants pouvant être des malades comme les autres...ou presque !

(*) In situ : se dit d'une lésion qui ne concerne que la couche la plus superficielle de la peau ou d'une muqueuse. La lésion reste ainsi à distance des vaisseaux sanguins et lymphatiques et ne comporte donc aucun risque d'essaimage à distance (métastases). Son traitement est local, son pronostic excellent. Synonyme : intra-épithélial.
(**) Lymphoscintigraphie: technique consistant à injecter au voisinage de la lésion tumorale un corps radioactif qui va être résorbé dans le réseau lymphatique; la radioactivité va alors se concentrer dans le ou les ganglions qui assurent le drainage préférentiel de la tumeur (ganglion dit "sentinelle") ce qui permet de guider une exérèse ganglionnaire sélective moins agressive que la suppression de principe d'un groupe ganglionnaire entier.

mercredi 1 octobre 2008

Attention au sens des mots !

L'avant-projet de loi intitulé "Patients, santé et territoires", en cours de finalisation avant sa discussion à l'assemblée nationale dans quelques semaines, comporte un certain nombre d'orientations fortes qui concernent notamment l'organisation des soins. A ce titre, le projet de loi propose "de définir une organisation du système de santé basée, non pas sur l'offre, mais sur les besoins de santé de la population", perspective à laquelle on ne peut que souscrire.
Les choses se compliquent quelque peu au paragraphe suivant où l'on peut lire que "les différents types de besoins définissent des niveaux de recours pertinents pour repenser l'organisation de notre système de santé en cohérence avec l'hôpital". En effet, la notion de niveaux de recours que l'on perçoit de façon naturelle dans une réflexion théorique globale, n'en reste pas moins de gestion pratique délicate, tant il est plus facile de définir a posteriori le niveau nécessaire et suffisant de prise en charge d'un patient, qu'a priori. C'est d'ailleurs probablement là un des temps les plus importants de la médecine de soins que celui de l'évaluation et de l'orientation initiales dont la pertinence et la qualité supposent des connaissances étendues et un sens clinique aiguisé.
Le projet de texte traduit bien les difficultés qu'il y a à définir clairement des niveaux de soins puisque il est fait mention tour à tour de soins de premier recours, de maladies et d'affections courantes, de médecin généraliste de premier recours et de proximité. On comprend bien ce que visent ces différentes expressions et on conçoit aisément qu'il faille organiser quelque peu les demandes de soins qu'elles recouvrent, ne serait-ce que pour offrir à l'ensemble de la population une égalité d'accès. Toutefois, selon la formule souvent usitée, le diable se cache dans les détails et en l'occurrence dans le sens des mots.
Le premier recours désigne la première personne à qui l'on demande aide et secours lors de la survenue d'un symptôme dont la signification pathologique n'est pas a priori explicite, en tout cas pas par le patient lui-même.
Maladie courante signifie maladie banale, habituelle, fréquente, alors qu'affection courante recouvre plutôt une symptomatologie également banale et fréquente mais indépendamment de la pathologie qui en est la cause. L'obstruction nasale passagère est une affection fréquente en hiver, le rhume qui en est habituellement la cause est une maladie courante.
On voit donc que parler indistinctement de maladies ou d'affections courantes recouvre en fait deux situations bien différentes, l'une symptomatique précédant le recours, l'autre pathologique fruit du diagnostic obtenu (ou pas !) lors de cette première consultation médicale. Si chaque symptôme ou affection était synonyme d'une pathologie donnée, la médecine en serait grandement simplifiée et l'on pourrait alors ne s'intéresser qu'au traitement qui découlerait de ce diagnostic univoque.
Cela n'est évidemment pas le cas, même si la fréquence d'association entre un symptôme et une maladie donnée rend "courants" le diagnostic et la prise en charge qui lui fait suite. Toute la qualité professionnelle du premier consultant réside dans sa capacité à ne pas laisser passer une pathologie grave dissimulée sous un symptôme banal, tant il est vrai que la plupart des maladies sérieuses n'ont pas de spécificité symptomatique initiale particulière. L'affection initiale n'est donc rattachable à une maladie courante qu'après l'examen clinique du patient, le recours éventuel à des explorations complémentaires voire à un ou plusieurs praticiens spécialisés.
Il est dit plus loin que les soins de premier recours comportent "la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies et affections courantes". Là encore, cette description n'est éventuellement valide qu'a posteriori, une fois le diagnostic de "maladie courante" établi.
Dans le même texte de projet de loi, il est fait mention du "respect des exigences de proximité, de qualité et de sécurité" pour ce qui est des soins de premier recours. Si l'on s'en tient à la seule proximité, cette dimension géographique, éminemment variable suivant les lieux, suppose un maillage territorialement et démographiquement harmonieux de l'offre de soins, objectif que l'on ne peut que partager.
Au total, le premier niveau de recours doit être assuré par un praticien "proche" du domicile du patient, en situation de faire la part au sein des affections courantes de celles qui relèvent éventuellement de maladies graves, de déclencher si nécessaire le recours à un deuxième voire à un troisième niveau (qui méritent d'être affinés), d'assurer le suivi des patients, le tout dans une exigence de qualité et de sécurité.
L'orientation stratégique ambitieuse exposée dans ce texte de loi est capitale pour l'avenir de notre système de soins; toutefois, on peut penser que le succès de la démarche nécessitera une certaine coercition accompagnée d'une forte incitation, notamment financière, à l'exercice plein de la médecine de "premier recours" dont dépend à l'évidence la qualité et la performance de l'ensemble de notre système sanitaire. La récente embellie dont a bénéficié la médecine générale lors de "l'amphi de garnison" au cours duquel les nouveaux reçus à l'examen national classant, qui a remplacé l'internat, ont choisi leur spécialité est un élément positif, encourageant pour l'avenir.