mercredi 28 janvier 2009

Confirmation de l'augmentation spontanée de l'incidence des mélanomes malins.

Pour expliquer l'augmentation d'incidence de certains cancers, il existe souvent un débat sur la part respective qui revient au diagnostic précoce, et plus généralement à une meilleure attention médicale, d'une part et d'autre part à une augmentation effective de l'incidence spontanée. Dans un étude récente, une équipe de dermatologues de Stanford (Californie) publie, à partir des données collectées dans le programme américain SEER (Surveillance Epidemiology and End Results), des résultats qui montrent une augmentation d'incidence des mélanomes malins au rythme de 3,1% par an entre 1992 et 2004. Cette augmentation semble particulièrement marquée chez les hommes âgés et concerne tous les types de mélanome et toutes les épaisseurs de tumeurs, en sachant que ce dernier élément est un critère pronostique majeur.
Le fait que cette augmentation concerne aussi bien les hommes que les femmes et qu'elle touche toutes les classes socio-économiques est en faveur d'un réel accroissement d'incidence et non pas du simple effet d'une attention diagnostique plus soutenue. Par ailleurs, la même étude montre que l'épaisseur moyennes des lésions diagnostiquées est plus importante chez les patients issus d'une classe sociale défavorisée avec comme conséquence un plus mauvais pronostic que pour les patients mieux lotis.
Il existe donc bien une augmentation spontanée de l'incidence des mélanomes malins aux USA, ce qui est d'ailleurs aussi le cas dans d'autres pays y compris la France. Les auteurs de l'étude plaident en faveur d'une meilleure éducation du public pour le sensibiliser d'une part aux méfaits cutanés de l'exposition solaire excessive et d'autre part à l'utilité de l'auto-surveillance cutanée y compris chez les personnes âgées.

Increasing Burden of Melanoma in the United States. Eleni Linos, Susan M Swetter, Myles G Cockburn, Graham A Colditz and Christina A Clarke. Journal of Investigative Dermatology, advance online publication, 8 January 2009.

lundi 26 janvier 2009

Le médecin généraliste de premier recours : nouvelle version législative

Dans un article de ce blog, daté du 1er octobre dernier, j'exprimais des doutes quant à la pertinence de certaines expressions contenues dans l'avant-projet de loi "Hôpital, patients, santé et territoires" notamment celles décrivant le rôle du médecin généraliste. La lecture du texte du projet de loi tel qu'il a été transmis à la Commission des Affaires Culturelles de l'Assemblée Nationale aux fins d'examen avant discussion en séance, montre que l'expression "affection courante" a opportunément disparu dans la définition des missions incombant au "médecin généraliste de premier recours".
Du coup la lecture de l'article 14 du projet de loi, prévu pour devenir l'article L.4310-1 du Code de la Santé Publique, stipule que le médecin généraliste, dit de premier recours, doit "assurer pour ses patients, la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies ..." c'est à dire en fait continuer à faire son métier en prenant en charge, pour tout ou partie, des patients présentant des maladies qui sont le plus souvent courantes mais qui parfois le sont moins voire pas du tout.
Il lui incombe par ailleurs la mission "d'orienter ses patients, selon leurs besoins, dans le système de soins et le secteur médico-social", de "s’assurer que la coordination des soins nécessaire à ses patients est effective" et d'effectuer "la synthèse des informations transmises par les différents professionnels de santé", ... entre autres activités comme le suivi des maladies chroniques ou la participation aux actions de prévention et de dépistage, sans oublier bien sûr la permanence des soins !
Il paraît probable que toutes ces missions ne pourront pas être effectivement et/ou correctement remplies par un seul homme (ou, de plus en plus souvent, une seule femme) et qu'il est donc urgent de repenser la contribution des différents professionnels de santé à ce qu'il est convenu d'appeler "le premier recours"; dans le même temps, le rôle décisif dans l'organisation des soins que constitue le premier contact du patient avec un professionnel de santé mérite d'être substantiellement revalorisé, à la hauteur de ce que le législateur attend de lui.

samedi 24 janvier 2009

La FDA dans la tourmente (suite)

Un nouveau rapport du Congrès américain, publié le 13 janvier 2009, porte de sévères critiques sur le fonctionnement de la Federal Drug Administration (FDA), cette fois au sujet des dispositifs médicaux autres que les médicaments. Les parlementaires considèrent globalement que bon nombre des dispositifs médicaux techniques mis sur le marché n'ont jamais démontré qu'ils étaient sûrs et efficaces y compris pour ceux qui comportent le plus de risques pour les patients.
Il s'agit là d'un problème ancien ayant déjà donné lieu à de multiples critiques (voir dans ce blog) mais qui nécessite aujourd'hui des solutions rapides probablement facilitées par le changement d'administration et la fin des fonctions du Dr. Andrew C. von Eschenbach, "commissioner of the FDA".
L'enquête du Congrès fait suite à un courrier collectif de scientifiques de la FDA critiquant vertement les pratiques d'agrément en vigueur notamment pour les matériels médicaux qui font le plus souvent l'objet de procédures dites "rapides" comportant un minimum de tests, à l'argument qu'il s'agit habituellement de simples évolutions de matériels déjà existants. En fait, ces procédures sont choisies en grande partie sous la pression des industriels, ce qui peut conduire à considérer "qu'une Ferrari n'est jamais qu'une voiture et que par conséquent si la Ford modèle T a été testée et mise sur le marché en son temps, la Ferrari ne nécessite pas d'expertise approfondie supplémentaire", comme le fait remarquer avec humour un médecin cité par le New York Times. Ceci permet ensuite aux industriels de convaincre leurs clients qu'ils auraient tort de se priver d'une Ferrari alors qu'ils sont titulaires du permis de conduire.
Depuis sa création en 1976, la FDA classe les dispositifs médicaux en trois catégories, de complexité et de dangerosité croissantes ; c'est bien entendu les matériels de classe III qui posent l'essentiel des problèmes, le rapport du congrès demandant qu'ils soient chaque fois considérés comme des matériels nouveaux et non pas comme de simples évolutions de dispositifs préexistants, comme d'ailleurs la FDA s'y était engagée à le faire...en 1995.
Il apparaît manifestement qu'au cours des 8 années d'administration Bush, le poids de l'industrie des produits de santé à lourdement pesé sur les décisions de la FDA, créant un conflit de plus en plus aigu entre les experts scientifiques et les responsables administratifs décidant des agréments. Toutefois, ces difficultés ne sont pas réservées aux USA, même si une très grande partie des innovations techniques, réelles ou non, y naissent avant de diffuser dans le monde entier. La complexité croissante des matériels, l'augmentation de leurs coûts d'acquisition, de mise en oeuvre et de maintenance, le raccourcissement de leur durée de vie, concourent à faire sans cesse croître les charges qui résultent de leur utilisation sans qu'il soit toujours possible d'être sûr qu'ils apportent une plus-value sanitaire indiscutable voire qu'ils ne comportent pas des risques supplémentaires. Il paraît de plus en plus nécessaire de trouver le juste équilibre entre le respect des impératifs économiques de l'industrie et la nécessité légitime de la démonstration claire d'une innovation effective et sécurisée.

mercredi 21 janvier 2009

La chimiothérapie ambulatoire n'est pas sans risques.

La grande majorité des traitements cancérologiques médicamenteux sont aujourd'hui réalisés chez des patients qui ne sont pas hospitalisés de façon continue. Ce type de prise en charge, qui alterne venues en service de jour ou en hospitalisation courte et séjours à domicile entre les cycles de chimiothérapie, est réputé aussi sûr que si la totalité du traitement était réalisé en hospitalisation continue. En outre, le souhait des patients en faveur d'hospitalisations aussi courtes que possible a conduit progressivement à délivrer des traitements de plus en plus complexes, et souvent de plus en plus toxiques, sur cette base dite "ambulatoire" et en tout cas alternative à l'hospitalisation continue classique.
Quatre services d'oncologie nord-américains, 3 d'adultes et 1 d'enfants, ont mis en commun leurs dossiers pour mesurer le taux d'erreurs médicamenteuses engendré par ce type de prise en charge. Les résultats publiés dans le Journal of Clinical Oncology on-line, montrent qu'il existe un nombre substantiel d'erreurs allant de 7% pour les patients adultes à près de 19% pour les enfants. Au total, sur les 112 erreurs relevées, 64 ont été considérées comme potentiellement dangereuses et 15 ont effectivement été suivies d'effets indésirables graves. Les erreurs constatées sont nettement plus fréquentes lors de l'administration des médicaments à domicile (de 0 à 14,5%) que quand ils sont délivrés au décours d'une hospitalisation, le plus souvent d'une journée (de 0,3 à 5,8%).
La cause la plus fréquente de ces erreurs semble résider dans les différences existant entre le protocole de traitement initial, défini lors du diagnostic, et la prescription faite à chaque cycle de traitement qui dépend alors de l'état clinique du patient et de ses résultats biologiques immédiats. La coexistence de ces deux documents, valant tous deux prescription, explique l'essentiel des erreurs d'administration et fait recommander aux auteurs de cette étude une amélioration de la relation entre tous les acteurs de soins ainsi qu'une éducation spécifique du patient.
S'il n'est pas question de revenir sur la tendance lourde en faveur de l'externalisation de traitements de plus en plus complexes et potentiellement toxiques, qui auraient justifié sans hésitation une hospitalisation continue classique il y a 10 ou 20 ans, force est de constater que cette prise en charge discontinue comporte des risques. En effet, l'essentiel des effets toxiques des médicaments utilisés en chimiothérapie se révèlent plusieurs jours après leur administration alors que le patient est à son domicile, son retour en hospitalisation, le plus souvent dite "de jour" correspondant à la phase de récupération. Si l'on y ajoute les erreurs lors de l'administration des médicaments qui doivent être pris à domicile, comme cela est mis en évidence dans cette étude, il apparaît clairement que la chimiothérapie dite "ambulatoire" constitue une situation problématique qui mérite de s'assurer que tous les acteurs concernés y compris le patient lui-même sont au fait des risques potentiels encourus, même si le confort du patient s'en trouve amélioré et le coût pour la collectivité allégé.

Medication Errors Among Adults and Children With Cancer in the Outpatient Setting. Kathleen E. Walsh,* Katherine S. Dodd, Kala Seetharaman, Douglas W. Roblin, Lisa J. Herrinton, Ann Von Worley, G. Naheed Usmani, David Baer, and Jerry H. Gurwitz. Journal of Clinical Oncology online, December 29, 2008.

lundi 19 janvier 2009

Publication scientifique et conflit d'intérêts: une affaire exemplaire.

Un des plus prestigieux journaux médicaux au monde, le New England Journal of Medicine (NEJM), a été sanctionné par le conseil américain de la formation médicale continue pour avoir omis de signaler les liens financiers qui existaient entre les auteurs d'un de ses articles et des industriels. L'affaire remonte au 26 octobre 2006, date à laquelle le NEJM fait paraître un article consacré à l'utilisation extensive du scanner thoracique chez les fumeurs et les anciens fumeurs tendant à démontrer qu'il était ainsi possible de faire le diagnostic précoce de cancers bronchiques alors curables dans 80% des cas. Cette étude appelée "I-ELCAP regimen" (International Early Lung Cancer Action Program) a été conduite par Claudia I. Henschke du Weill Cornell Medical College de New-York.
Le conflit d'intérêt a été révélé par un autre journal, The Cancer Letter, qui a indiqué que les auteurs de l'article étaient détenteurs de brevets couvrant la méthodologie diagnostique décrite, recevaient des royalties de la part des industriels de la radiologie, General Electric en l'occurrence, et qu'enfin le programme bénéficiait de contrats de recherche (3,6 millions de dollars) venant d'un groupe dont la compagnie Liggett Tobacco Group était une filiale !
Cette révélation a d'abord été démentie par le NEJM, alors que dans le même temps une autre publication prestigieuse, le JAMA (Journal of American Medical Association) publiait la liste exhaustive des liens commerciaux existant entre les responsables de cette étude et l'industrie.
Il semble que ces liens étaient en fait connus des responsables éditoriaux du NEJM et qu'ils aient décidé de ne pas en informer leurs lecteurs. En conséquence, la structure chargée de délivrer les accréditations pour la formation médicale continue a retiré au NEJM sa capacité à permettre à ses lecteurs d'acquérir des crédits de formation. Dans une lettre toute récente, l'éditeur en chef du NEJM a indiqué que la procédure de déclaration des conflits d'intérêts potentiels allait être revue où plus exactement complètement appliquée puisqu'elle figure déjà dans le règlement éditorial du NEJM.
Cette affaire n'est pas la première à mettre en évidence les relations parfois ambiguës entre les scientifiques et les industriels. Celle-ci est toutefois emblématique dans la mesure où elle concerne un journal médical de tout premier plan constituant une référence mondialement reconnue. Déjà, il y a quelques années, un éditeur en chef du NEJM avait renoncé à son poste, estimant qu'il n'était pas en mesure de publier dans tous les cas des informations exemptes de toute compromission avec des intérêts commerciaux. On voit que le mal persiste, même au sommet de la presse médicale et scientifique, ce qui ne laisse pas d'inquiéter pour ce qui peut se passer aux "étages inférieurs" ... Le plus grave, c'est que les résultats de cette étude sont vraisemblablement dignes d'être pris en compte, mais que le climat de suspicion qui entoure leur publication risque d'empêcher d'en tirer toutes les conséquences pratiques au bénéfice des patients.

vendredi 16 janvier 2009

Doit-on dire à un patient qu'il serait mieux traité ailleurs ?

La relation médecin-malade, marronnier de l'éthique médicale, est essentiellement fondée sur la confiance et l'autonomie. L'autonomie, c'est à dire la capacité à décider par et pour soi-même, la confiance, traduite par la décision de confier sa santé et parfois sa vie à son interlocuteur. Ces deux dimensions relationnelles, fréquemment influencées par de multiples paramètres dont bon nombre sont subjectifs voire irrationnels, n'en nécessitent pas moins une information pertinente pour que le patient puisse effectivement jouir d'un niveau suffisant d'autonomie et que la confiance qu'il donne soit correctement éclairée.
Dans ce cadre, la question se pose de savoir s'il faut révéler au patient qu'il serait mieux traité ailleurs que dans l'endroit où il a jusqu'ici choisi d'être pris en charge. Un certain nombre de contentieux judiciaires, tous anglo-saxons, ont tourné autour de cette question avec parfois des mises en cause de médecins ayant insuffisamment informé leurs patients des écarts qualitatifs de prise en charge entre divers lieux de traitement.
La revue PLoS Medicine a publié en octobre dernier un article sur le sujet, suivi d'un débat contradictoire entre plusieurs praticiens. Les auteurs de l'article plaident en faveur d'une information complète du patient y compris sur les éventuelles différences de performance entre les hôpitaux. L'indicateur retenu est celui du nombre de patients traités pour une pathologie donnée voire une technique thérapeutique précise. De fait, de nombreuses études ont montré que, au moins pour la chirurgie notamment cancérologique, les équipes qui avaient la pratique la plus soutenue d'une procédure thérapeutique donnée avaient également les meilleurs résultats tant en termes de taux de complications que de contrôle de la maladie. C'est d'ailleurs cette notion qui a inspiré les seuils minima d'activité établis il y a quelques mois par l'Institut National du Cancer français pour autoriser le traitement des patients porteurs de cancer. Il faut toutefois remarquer que le seul indicateur opératoire quantitatif ne résume pas la qualité de la prise en charge qui est également fonction de son environnement anesthésique, infirmier et, dans le cas particulier, cancérologique pluridisciplinaire .
Dans le débat qui accompagne l'article paru dans PLoS, plusieurs contradicteurs font valoir les obstacles qu'il y a à donner ce genre d'information aux patients ; tout d'abord, les éléments de comparaison entre les établissements sont bien entendu discutables, ne serait-ce que parce qu'ils peuvent porter sur des populations différentes de patients par exemple en termes d'âge moyen et de pathologies associées. En outre, les données statistiques ne résolvent qu'imparfaitement l'équation individuelle personnelle, laissant une place importante à d'autres considérations comme par exemple la proximité géographique ou la facilité d'accès. Par ailleurs, ce type de démarche soulève un problème éthique pour le praticien amené à porter un jugement de valeur sur lui-même ou sur son propre établissement autant que sur celui de ses confrères.
On voit donc que cette question est loin d'avoir une réponse univoque alors que dans le même temps la pratique quotidienne démontre sans ambiguïté les écarts qualitatifs de prise en charge qui peuvent exister entre les lieux de soins, y compris en France qui est probablement un des pays au monde où l'homogénéité qualitative de la médecine est la plus élevée. Si la publication des volumes d'activité constitue une première étape d'aide à la décision pour un patient, encore faut-il que cette information soit facilement accessible, raisonnablement fiable et complétée d'autres indicateurs dont la compilation peut conduire à un "faisceau de présomptions" favorables ou défavorables. En France, les seuils d'activité en cancérologie, la publication des rapports d'accréditation par l'HAS , les scores divers comme ceux concernant les infections nosocomiales (ICALIN) nous rapprochent peu à peu d'une meilleure lisibilité de l'efficience des équipes de soins. Dans l'attente, l'orientation d'un patient dépendra encore pendant longtemps de sa propre subjectivité, largement influencée par ce qu'il entendra de la part de ses interlocuteurs médicaux initiaux.

lundi 12 janvier 2009

Erreurs médicales létales : que penser des chiffres donnés à la presse ?

Les erreurs médicales ont fait l'objet récemment d'une nouvelle exposition médiatique à l'occasion d'épisodes malheureux survenus à la fin de l'année 2008 mises sur le compte de dysfonctionnements hospitaliers. Au sein de l'efflorescence de prises de position, d'accusations et de démentis, un chiffre a fait les gros titres de la presse : "il y aurait en France 10 000 décès par an dus à des erreurs médicales" qui elles-mêmes se chiffreraient par plusieurs centaines de milliers. Cette déclaration, faite par de hauts responsables de la structure sanitaire nationale, a été considérée comme fiable par d'autres qui se sont réclamés d'études de référence, notamment nord-américaines.
Il existe effectivement, aux USA, un très grand nombre de données chiffrées tentant chacune d'apprécier le nombre d'erreurs médicales et notamment de celles susceptibles d'avoir entraîné le décès du patient. L'étude la plus connue est celle publiée en 1999 par l'Institute of Medicine (IOM) estimant entre 44 000 et 98 000 le nombre annuel de décès résultant d'une erreur médicale. Bien que sa méthodologie ait été très critiquée par la communauté médicale et scientifique, cette étude reste un élément de référence et constitue probablement une estimation minimale compte tenu du manque d'informations concernant les incidents survenant en dehors des structures hospitalières et qui concernent alors principalement les erreurs portant sur les médicaments. L'Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) qui dépend du ministère US de la santé, consacre une part importante de ses travaux aux différents incidents médicaux dont il apparaît clairement qu'ils sont très majoritairement le résultat de dysfonctionnements systémiques et marginalement de fautes individuelles caractérisées. Il s'agit donc bien souvent non pas d'erreurs "médicales" mais plutôt d'erreurs "hospitalières", ce qui sans exonèrer en aucune façon les soignants de leur responsabilité, relativise quelque peu l'individualisation par trop fréquente des reproches voire des poursuites. Par ailleurs, environ trois quarts des erreurs médicales apparaissent comme évitables à la relecture des dossiers ce qui plaide en faveur d'une démarche préventive active.
Quoiqu'il en soit, tous les spécialistes de la gestion des risques s'accordent pour dire qu'il n'est pas possible de mettre en oeuvre des mécanismes correctifs sans auparavant disposer d'un système fiable de recueil systématique des incidents. Cette démarche déclarative doit concerner tous les acteurs d'une structure hospitalière, y compris les non soignants, nécessite d'être clairement soutenue par la direction et doit être exempte de tout relent inquisitorial pour qu'elle puisse espérer l'exhaustivité.
A ce propos, on peut signaler les résultats d'une enquête récemment publiée (*) sur les systèmes de gestion des risques mis en place dans les hôpitaux américains. Il en ressort que, parmi les 1600 établissements ayant répondu, la majorité d'entre eux n'ont pas mis en place de système efficace de recueil des incidents et que seule une faible proportion (environ 20%) ont une véritable culture de la gestion des risques, c'est à dire une stratégie d'encouragement à la déclaration des incidents et de diffusion rapide des rapports et des solutions apportées. Les résultats de cette enquête nationale réalisée en 2006 à la suite du Patient Safety and Quality Improvement Act pris en 2005 (PSQIA) laissent penser que les données actuellement connues sur l'impact des erreurs médicales aux USA sont probablement sous estimées. De ce fait, "l'estimation" française de 10 000 décès secondaires à une erreur médicale dans les seuls hôpitaux, fruit pour l'essentiel d'une règle de trois à partir des chiffres américains, est très vraisemblablement fausse, possiblement par défaut si l'on en juge par le manque d'exhaustivité du recueil des incidents médicaux graves aux USA. Il serait peut-être plus judicieux, plutôt que d'effrayer la population en publiant des chiffres non vérifiés car non vérifiables, de faire en sorte que les institutions de soins poursuivent et amplifient le développement d'une culture de la gestion des risques, ce qui, au passage, suppose de disposer de quelques moyens supplémentaires...

(*) Adverse-event-reporting practices by US hospitals: results of a national survey. Farley DO, Haviland A, Champagne S, Jain AK, Battles JB, Munier WB, Loeb JM. Qual Saf Health Care. 2008;17:416-423.

samedi 10 janvier 2009

L'obésité pèse aussi sur les cancers

Une étude réalisée par une équipe du National Cancer Institute a été consacrée à l'impact de l'obésité sur le risque de survenue d'un cancer de l'ovaire. Les résultats à paraître dans le prochain numéro de la revue américaine Cancer sont en faveur d'une augmentation du risque de cancer de l'ovaire chez les femmes obèses et notamment chez celles qui n'ont reçu aucun traitement substitutif de la ménopause, où le risque est alors presque doublé par rapport à la population féminine non obèse. Ces résultats sont intéressants car ils portent sur un groupe de 95 000 femmes âgées de 51 à 70 ans, suivies pendant 7 ans. Les explications de ces écarts d'incidence font débat avec très probablement une interférence hormonale et en particulier un trouble du métabolisme des oestrogènes au sein de la masse graisseuse.
Quoiqu'il en soit, cette étude vient s'ajouter à d'autres qui montrent clairement que les deux grandes situations actuelles et futures contribuant à l'augmentation de l'incidence des cancers sont le tabagisme et l'obésité. Si le premier facteur s'est sensiblement réduit dans les pays occidentaux alors qu'il croît de façon massive dans les autres, le second est par contre en augmentation régulière et massive dans l'ensemble des pays y compris ceux qualifiés d'émergents.
Au-delà du constat épidémiologique, il apparaît évident que les pratiques diagnostiques et thérapeutiques devront s'adapter au morphotype de ces patients en surpoids important qui deviennent de plus en plus nombreux, y compris en France. Ainsi, les techniques chirurgicales, les performances balistiques de la radiothérapie, le calcul des doses des médicaments de chimiothérapie, entre autres, sont clairement modifiés par l'obésité des patients. Au total, le surpoids majeur constitue en cancérologie un double facteur de risque d'une part en augmentant l'incidence de certains cancers (sein, utérus, colon, ovaire,...) et d'autre part en réduisant la performance thérapeutique globale ou en aggravant les effets secondaires des différents traitements.
Si l'on ajoute ces conséquences à celles déjà largement connues qui portent sur la situation métabolique (diabète), la dégradation ostéoarticulaire et la surcharge cardiovasculaire, on voit que le développement quasi-épidémique de l'obésité dans nos pays constitue une préoccupation majeure de santé publique susceptible de casser la tendance à l'augmentation régulière de la longévité spontanée tout en alourdissant la charge financière collective consacrée à la santé et aux soins.

jeudi 8 janvier 2009

Le projet de réforme du système de santé US se heurte déjà au lobby des assurances privées

La préparation de la grande réforme du système de santé, promise par le président-élu Barak Obama, passe, entre autres, par la tenue de "house parties" au cours desquelles un groupe de citoyens se réunit chez l'un d'entre eux ( le plus souvent un supporter démocrate, bien sûr) pour échanger sur le sujet et faire remonter ensuite les idées qui ressortent du débat. Cette approche, qui n'est pas sans rappeler celle du "débat participatif" introduit dans notre pays lors de la dernière campagne présidentielle, parait tout à fait adaptée à ce type de sujet universel bien que parfois très technique.
Quoiqu'il en soit ces réunions, au nombre de plusieurs milliers au cours du seul mois de décembre, sont suivies de très près par l'ensemble des acteurs de la santé, y compris les assureurs et les industriels de la pharmacie, qui incitent leurs affiliés et/ou leurs employés à y participer. De ce fait, bon nombre de ces "living-room meetings" accueillent des participants inattendus et tournent parfois à des séances de lobbying industriel. En effet, les assureurs se mobilisent pour combattre une des dispositions centrales du plan de Barack Obama, à savoir la création d'un nouveau système public d'assurance maladie en partie financé par le redéploiement des sommes que perçoivent les assureurs privés lors de la prise en charge complète des patients affiliés au Medicare (au-delà de 65 ans pour l'essentiel). Ces versements d'agent public ont été considérées comme bien trop importantes par plusieurs études récentes. Les assureurs privés ont lancé une campagne agressive auprès de leurs adhérents stigmatisant le risque de diminution des prestations et/ou d'augmentation des frais non pris en charge si le plan de B. Obama est mis en place. Ils ajoutent que ce nouveau programme public aura pour résultat de mal rémunérer les médecins et les hôpitaux avec pour conséquence une surfacturation de compensation pour ceux qui ont une assurance privée.
En réponse, l'équipe de transition du président-élu a préparé un guide de réunion insistant notamment sur l'utilité de faire témoigner des patients ayant eu des difficultés de prise en charge illustrant ainsi la nécessité de la réforme et contrecarrant les arguments des industriels.
On voit que le débat va être rude, avec le risque que ce projet de réforme subisse le même sort que la tentative pilotée à la demande de son époux par Hilary Clinton au début des années 90. Toutefois, ce thème, largement abordé pendant la campagne, a été pour beaucoup dans le succès de B. Obama, la fragilisation financière des systèmes d'assurance personnelle et la ruine de bon nombre de systèmes de prévoyance gérés par les employeurs ayant fait le reste. Il est donc vraisembable qu'une réforme du système de santé verra le jour, le tout est de savoir sous quelle forme finale !

lundi 5 janvier 2009

La FDA dans la tourmente

Depuis plusieurs mois, un sévère conflit interne oppose les scientifiques aux dirigeants de la prestigieuse Food and Drug Administration américaine. Les premiers accusent les seconds d'autoriser la mise sur le marché de médicaments ou de dispositifs médicaux qui n'ont pas apporté à leurs yeux la preuve de leur efficience ou de leur originalité. La contestation a pris la forme d'une lettre privée à l'attention d'Andrew C. von Eschenbach, patron de la FDA, signée en mai dernier par 8 scientifiques, puis d'une autre, cette fois destinée au congrès américain, le 14 octobre 2008.
Les scientifiques de la FDA critiquent notamment les procédures qui ont conduit à autoriser la commercialisation de certains stents coronaires, de stimulateurs nerveux supposés améliorer la dépression, d'équipements d'imagerie ou d'implants prothétiques mammaires. Les accusations contenues dans ces courriers n'ont été que partiellement rendues publiques mais restent particulièrement graves pour ce que l'on en connaît : falsification des résultats d'expertise, pression sur les experts pour qu'ils modifient leurs conclusions, prise en compte d'influences économiques voire politiques ou confessionnelles, etc.
Dans un premier temps confinée en interne, cette affaire a débouché sur des conséquences majeures depuis qu'elle a été portée à la connaissance des membres du congrès. Ainsi A.C. von Eschenbach a récemment déclaré qu'il démissionnerait le 20 janvier prochain, date de l'investiture du nouveau président des USA. Cette démission est manifestement la première du longue liste, l'administration Obama ayant clairement annoncé qu'elle souhaitait pratiquer un "clean sweep" au sein de la FDA en partie en raison de l'influence politique forte de l'administration Bush sur les décisions scientifiques et sanitaires américaines, comme par exemple sur la question des cellules souches, sur celle des médicaments importés ou au sujet des sommes très importantes consacrées à la prévention du bioterrorisme. De fait, la plupart des responsables des grandes institutions sanitaires américaines sont déjà partis ou sont sur le départ : National Institute of Health, Center of Diseases Control d'Atlanta, National Cancer Institute vont avoir prochainement de nouveaux patrons !
Paradoxalement, les industriels de la pharmacie, opposants traditionnels à une réglementation plus stricte, semblent d'accord avec la nécessité d'une réforme entre autres de la FDA, la dégradation de son fonctionnement ternissant la valeur de son expertise et par voie de conséquence l'image des produits qu'elle autorise. Le choix des nouveaux responsables de ces agences nationales constituera à l'évidence un indicateur majeur de l'orientation à venir en matière de santé et de recherche médicale.

vendredi 2 janvier 2009

Trop malade pour être soigné ?

Le 31 décembre 2008, l'adjoint du procureur de la république d'Evry a cru bon de faire part à la presse de son interprétation des résultats de l'autopsie pratiquée la veille sur le corps d'un patient de 57 ans, décédé au matin du 28 décembre précédent, après une phase confuse d'attente prolongée d'une hospitalisation en milieu spécialisé. Le magistrat a déclaré en substance que compte tenu de l'état cardiaque du patient, son hospitalisation plus rapide n'aurait probablement pas empêché son décès.
Quelles peuvent bien être les motivations de ce magistrat du parquet pour délivrer publiquement ce commentaire ? Exonérer par avance la puissance publique de toute responsabilité éventuelle dans l'organisation des secours d'urgence et des services de réanimation cardiologique ? Préparer à un classement sans suite de la plainte déposée depuis par la veuve du patient pour "mise en danger de la vie d'autrui"? L'avenir le dira, peut-être ...!
Mais restons sur l'homme qui s'autorise ce type de déclaration indépendemment de sa fonction de magistrat. Si l'on comprend bien, la perspective d'une issue fatale fortement probable dispenserait d'une prise en charge correcte à l'argument de son inutilité, vérifiée ... a posteriori. Il s'agirait là d'une euthanasie passive préventive, notion pour le moins nouvelle en éthique médicale. Par ailleurs, quelle curieuse façon d'envisager l'obligation de secours à toute personne en danger, en l'occurrence de mort, semble-t-il imminente ! Il faudrait donc, pour chaque situation, adapter l'intensité du secours de façon inversement proportionnelle au risque létal supposé, ce qui ne constitue pas le moindre des paradoxes.
En outre, notre magistrat devrait se douter que le pronostic effectif d'une situation médicale donnée n'est pas toujours évident d'emblée et qu'en toute hypothèse il n'est jamais univoque. Ainsi, même si les éléments diagnostiques sont initialement défavorables la possibilité de sauver le patient demeure, ce qui est d'ailleurs à la base de la raison d'être des secours d'urgence. Au delà, on ne peut qu'être inquiet qu'un magistrat du parquet, représentant donc l'état, introduise la notion de résultat comme élément susceptible de relativiser l'obligation de secours et d'assistance. Beaucoup de patients présentent, le jour du diagnostic initial, une maladie qu'il est aujourd'hui impossible de guérir. Les moyens mis en oeuvre pour les soulager, prolonger leur survie, les accompagner dans les étapes successives de leur évolution doivent-ils être réduits voire supprimés à l'argument de leur inefficacité finale ?
On peut faire crédit au procureur-adjoint d'avoir subi une forte pression médiatique pouvant expliquer une certaine précipitation dans sa déclaration radiodiffusée; on peut également demander à ceux qui requièrent parfois avec sévérité au nom du peuple français qu'ils respectent, quelles que soient les circonstances, les droits fondamentaux de leurs concitoyens en l'occurrence celui de trouver normalement assistance et secours quand ils sont en péril et a fortiori quand leur vie est menacée.
Au total, il vaudrait mieux que les magistrats évitent de s'essayer à la médecine, fût-elle légale, les médecins ayant pour la plupart compris, et ce depuis longtemps, que dire le droit ne figurait pas au rang de leurs compétences.