lundi 12 janvier 2009

Erreurs médicales létales : que penser des chiffres donnés à la presse ?

Les erreurs médicales ont fait l'objet récemment d'une nouvelle exposition médiatique à l'occasion d'épisodes malheureux survenus à la fin de l'année 2008 mises sur le compte de dysfonctionnements hospitaliers. Au sein de l'efflorescence de prises de position, d'accusations et de démentis, un chiffre a fait les gros titres de la presse : "il y aurait en France 10 000 décès par an dus à des erreurs médicales" qui elles-mêmes se chiffreraient par plusieurs centaines de milliers. Cette déclaration, faite par de hauts responsables de la structure sanitaire nationale, a été considérée comme fiable par d'autres qui se sont réclamés d'études de référence, notamment nord-américaines.
Il existe effectivement, aux USA, un très grand nombre de données chiffrées tentant chacune d'apprécier le nombre d'erreurs médicales et notamment de celles susceptibles d'avoir entraîné le décès du patient. L'étude la plus connue est celle publiée en 1999 par l'Institute of Medicine (IOM) estimant entre 44 000 et 98 000 le nombre annuel de décès résultant d'une erreur médicale. Bien que sa méthodologie ait été très critiquée par la communauté médicale et scientifique, cette étude reste un élément de référence et constitue probablement une estimation minimale compte tenu du manque d'informations concernant les incidents survenant en dehors des structures hospitalières et qui concernent alors principalement les erreurs portant sur les médicaments. L'Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) qui dépend du ministère US de la santé, consacre une part importante de ses travaux aux différents incidents médicaux dont il apparaît clairement qu'ils sont très majoritairement le résultat de dysfonctionnements systémiques et marginalement de fautes individuelles caractérisées. Il s'agit donc bien souvent non pas d'erreurs "médicales" mais plutôt d'erreurs "hospitalières", ce qui sans exonèrer en aucune façon les soignants de leur responsabilité, relativise quelque peu l'individualisation par trop fréquente des reproches voire des poursuites. Par ailleurs, environ trois quarts des erreurs médicales apparaissent comme évitables à la relecture des dossiers ce qui plaide en faveur d'une démarche préventive active.
Quoiqu'il en soit, tous les spécialistes de la gestion des risques s'accordent pour dire qu'il n'est pas possible de mettre en oeuvre des mécanismes correctifs sans auparavant disposer d'un système fiable de recueil systématique des incidents. Cette démarche déclarative doit concerner tous les acteurs d'une structure hospitalière, y compris les non soignants, nécessite d'être clairement soutenue par la direction et doit être exempte de tout relent inquisitorial pour qu'elle puisse espérer l'exhaustivité.
A ce propos, on peut signaler les résultats d'une enquête récemment publiée (*) sur les systèmes de gestion des risques mis en place dans les hôpitaux américains. Il en ressort que, parmi les 1600 établissements ayant répondu, la majorité d'entre eux n'ont pas mis en place de système efficace de recueil des incidents et que seule une faible proportion (environ 20%) ont une véritable culture de la gestion des risques, c'est à dire une stratégie d'encouragement à la déclaration des incidents et de diffusion rapide des rapports et des solutions apportées. Les résultats de cette enquête nationale réalisée en 2006 à la suite du Patient Safety and Quality Improvement Act pris en 2005 (PSQIA) laissent penser que les données actuellement connues sur l'impact des erreurs médicales aux USA sont probablement sous estimées. De ce fait, "l'estimation" française de 10 000 décès secondaires à une erreur médicale dans les seuls hôpitaux, fruit pour l'essentiel d'une règle de trois à partir des chiffres américains, est très vraisemblablement fausse, possiblement par défaut si l'on en juge par le manque d'exhaustivité du recueil des incidents médicaux graves aux USA. Il serait peut-être plus judicieux, plutôt que d'effrayer la population en publiant des chiffres non vérifiés car non vérifiables, de faire en sorte que les institutions de soins poursuivent et amplifient le développement d'une culture de la gestion des risques, ce qui, au passage, suppose de disposer de quelques moyens supplémentaires...

(*) Adverse-event-reporting practices by US hospitals: results of a national survey. Farley DO, Haviland A, Champagne S, Jain AK, Battles JB, Munier WB, Loeb JM. Qual Saf Health Care. 2008;17:416-423.

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