mercredi 31 décembre 2008

Bonne année...malgré tout !

Il est depuis quelque temps devenu commun et sans grand risque de prédire une année 2009 difficile et ce pour de multiples raisons dont toutes ne sont cependant pas à mettre systématiquement au compte des difficultés économiques mondiales actuelles et à venir, même si elles forment une toile de fond plutôt sombre. Pour se limiter aux thèmes habituellement abordés dans ce blog, deux dossiers me paraissent dignes de la plus grande attention au cours des mois à venir : bien sûr la mise en oeuvre du projet de réforme du système de santé proposé aux citoyens nord-américains par leur président-élu, et, plus modestement, le débat que ne manquera pas de susciter le projet de loi intitulé "Patients, santé, territoire" lorsqu'il viendra devant le parlement au cours des semaines prochaines. Pour ce qui est de ce dernier point, l'intensité de la controverse, née des incidents ou des drames médicaux survenus dans notre pays en cette fin d'année, laisse penser que les conditions sont réunies pour que la discussion parlementaire soit passionnée en espérant toutefois qu'elle débouche sur des mesures efficaces et pérennes au service du plus grand nombre.
Mais la grande question de 2009, et probablement des années suivantes, portera à l'évidence sur l'impulsion donnée par les choix que feront les USA en matière d'assurance santé. Le feuilleton financier des derniers mois a mis à mal les dispositifs assis sur les contrats individuels y compris quand ils sont "garantis" ou complétés par les employeurs ; les systèmes collectifs solidaires, dits universels ou nationaux, semblent pour l'instant plus solides même si les difficultés économiques générales ne peuvent que les fragiliser. Au sein de ces systèmes collectifs, les "bismarckiens" , type assurance-maladie française, continuent à apporter une performance supérieure aux "beveridgiens" fondés sur l'impôt comme dans la plupart des pays anglo-saxons européens. Le débat s'annonce passionnant en espérant qu'il n'oublie pas complètement les écarts de plus en plus importants entre les situations sanitaires à travers le monde, que les difficultés économiques actuelles et à venir ne feront encore qu'aggraver !
Je remercie vivement tous ceux qui ont pris de leur temps pour jeter un coup d'oeil sur ce blog et pour certains d'entre eux pour me faire part de leurs commentaires et suggestions. Je serais ravi qu'ils continuent de la sorte et j'adresse à tous mes meilleurs voeux pour l'année nouvelle.

samedi 27 décembre 2008

Le temps qui passe ne profite pas toujours au patient

Une étude rétrospective étudiant l'impact sur l'évolution tumorale du délai entre la chirurgie et la radiothérapie postopératoire d'un cancer du sein de petit volume a été publiée récemment dans le journal Cancer (*) après avoir été présentée au denier congrès de l'ASTRO (**). Les auteurs ont repris les dossiers médicaux de près de 8000 patientes enregistrées dans la base de données Medicare et ayant reçu une irradiation postopératoire après une chirurgie initiale conservatrice du sein entre 1991 et 1999. Les patientes étaient porteuses soit d'un cancer du sein invasif de stade I soit d'un carcinome in situ non invasif.
Parmi ces patientes, toutes âgées de plus de 65 ans puisque bénéficiant du Medicare, 16% ont eu une radiothérapie postopératoire retardée et 3% un traitement interrompu avant son terme. Ces situations ont été essentiellement retrouvées dans les zones déshéritées des USA, là où la densité des centres de radiothérapie est particulièrement faible.
De façon globale, un délai entre la chirurgie et la radiothérapie de plus de 12 semaines (ou de plus de 8 semaines après une éventuelle chimiothérapie postopératoire) s'accompagne d'une augmentation nette non seulement du taux de récidive tumorale dans le sein opéré mais aussi de métastases viscérales à distance pour ce qui est des tumeurs de stade I. Le risque de récidive locale isolée augmente dès que le délai postopératoire dépasse 8 semaines.
Ces résultats confirment ceux d'autres travaux déjà publiés même s'ils tirent leur originalité des caractéristiques d'âge de la population étudiée; en effet, les cancers du sein survenant chez des patientes âgées sont réputés moins évolutifs que ceux présentés par des femmes plus jeunes. ceci revient à dire que si un délai trop important entre la chirurgie et la radiothérapie influence défavorablement le contrôle local de la maladie voire son évolution métastatique chez les patientes de plus de 65 ans, cet impact négatif ne peut être qu'encore plus marqué chez les patientes plus jeunes.
Il est donc d'une importance majeure que l'organisation de l'offre de soins soit en accord avec ces impératifs chronologiques aussi bien en termes de disponibilité médicale et technique que de rapidité des procédures internes propres à chaque lieu de soins. La disponibilité des équipements de radiothérapie n'est pas aujourd'hui en France optimale en tout lieu, moins pour des raisons de nombre ou de qualité des plateaux techniques que de disponibilité des professionnels qu'il s'agisse des praticiens radiothérapeutes, des radiophysiciens ou des manipulateurs. Les dispositions prises récemment à la suite d'incidents multiples ayant concerné des centres de radiothérapie visent à augmenter les effectifs de ces professions et notamment des radiophysiciens; comme toutes les mesures démographiques, elles n'auront d'effet sur la fluidité des prises en charge que dans plusieurs années. Dans l'attente, l'organisation des services doit être optimisée pour supprimer tout délai inutile, préjudiciable au patient.

(*) Correlates and effect of suboptimal radiotherapy in women with ductal carcinoma in situ or early invasive breast cancer. H. T. Gold, H. T. Do, A. W. Dick; Cancer 113, 11 , 3108-3115, 2008.
(**) American Society of Therapeutic Radiology and Oncology.

mercredi 24 décembre 2008

Les médecins généralistes américains peuvent-ils accueillir tous les nouveaux assurés promis par B. Obama ?

Le docteur Pauline W. Chen, chirurgien et écrivain, a fait paraître dans les colonnes du New York Times du 11 décembre dernier un article consacré aux risques que porte en lui le projet de réforme du système de santé du président élu.
De fait, pendant sa campagne, Barack Obama a, à de multiples reprises, déclaré qu'il souhaitait que "tous" les américains bénéficient d'une assurance santé en sachant qu'aujourd'hui environ 45 millions d'entre eux en sont totalement dépourvus et que, parmi ceux qui en bénéficient, beaucoup n'ont qu'une couverture partielle et/ou plafonnée. Pauline Chen s'interroge dans son article intitulé "Where Have All the Doctors Gone?" sur la faisabilité pratique de cette stratégie au regard de l'évolution du nombre de praticiens de premier recours qui seront bien entendu les premiers concernés par les conséquences de cette réforme.
En effet, les résultats publiés de plusieurs études et enquêtes récentes, dont certaines ont été rapportées dans ce blog, sont source d'inquiétude car ils prévoient une réduction de l'ordre de 40 000 du nombre de praticiens généralistes d'ici 2025 et qu'aujourd'hui seuls 2% des étudiants en médecine déclarent vouloir se destiner à la médecine générale à tel point que, le mois dernier, l'American Medical Association a décidé d'apporter un soutien financier aux étudiants qui choisiraient la médecine générale. Par ailleurs, une enquête récente auprès des praticiens généralistes montrerait que près de la moitié des 12 000 médecins qui ont répondu, pour l'essentiel des généralistes, envisage de réduire ou de limiter leur activité dans un proche avenir voire de mettre fin à leur carrière.
Si l'on cumule les effets du vieillissement de la population au projet d'assurance santé universelle, on peut effectivement s'interroger sur les capacités du système américain de santé de premier recours à absorber cette forte augmentation de la demande. A titre d'exemple, le docteur Chen rappelle que quand le Massachussets a décidé par une loi de 2006 que tous ses résidents devraient désormais bénéficier d'une assurance santé, le nombre de nouveaux assurés a été de 440 000 sur une population totale d'environ 6 millions et demi...! C'est comme si notre système de soins national devait faire face brutalement à plusieurs millions d'assurés supplémentaires, ce qui à l'évidence entraînerait des difficultés majeures.

lundi 22 décembre 2008

Stabilité conjugale et qualité de vie après traitement pour cancer du sein

Une étude américaine récente a été consacrée à l'étude de la qualité de vie après traitement de 100 femmes traitées pour cancer du sein, mariées ou vivant en couple. L'objectif était d'évaluer l'impact des difficultés éventuelles au sein du couple sur la qualité de vie au cours des 5 années suivant le traitement.
Sans surprise, les résultats de cette étude confirment que les épouses ou compagnes de couples en difficultés présentent un niveau plus élevé de stress, moins d'activité physique et globalement une convalescence plus lente avec plus de symptômes négatifs que les femmes dont le couple est stable. Ces différences sont indépendantes du niveau de dépression, du stade de la maladie, du traitement reçu ou des pathologies éventuellement associées.
Ainsi pour un niveau d'anxiété équivalent lors du diagnostic initial, les femmes en situation de couple stable (72%) décrivent une diminution progressive de leur inconfort psychologique qui apparaît beaucoup plus rapide que celles qui sont en difficultés conjugales. De façon globale, la maladie ne fait que confirmer voire accentuer la situation affective préalable, confirmant les unions stables et aggravant les difficultés antérieures.
Cette étude, qui fait suite à plusieurs autres donnant les mêmes tendances, confirme tout l'intérêt qu'il y a à prendre en compte le plus tôt possible l'environnement d'un patient pour pouvoir éventuellement prévenir et/ou amender des éléments susceptibles de dégrader la qualité du résultat médical objectif. Cette préoccupation, aujourd'hui dénommée par un néologisme, la "proximologie", reste toutefois dans bien des cas plus théorique que pratique, peu de patient(e)s bénéficiant dans les faits d'une réelle attention dans ce domaine en dehors des situations critiques spectaculaires. Tant que ces éléments d'évaluation, au même titre que l'appréciation de la situation socio-professionnelle, ne seront pas systématiquement intégrés dans la démarche médicale initiale, ils continueront à être considérés comme subalternes alors qu'ils peuvent détériorer grandement le meilleur résultat thérapeutique et transformer ainsi la guérison objective en une longue convalescence inconfortable.

jeudi 18 décembre 2008

La privatisation des hôpitaux publics allemands en question.

Dans la revue Hospital-E, organe officiel de l'association européenne des directeurs d'hôpitaux, deux chercheurs en sciences sociales de Düsseldorf font le bilan de la privatisation des hôpitaux allemands. En effet, depuis le début des années 90 et plus encore à partir de 2000, une vague de privatisation a concerné les hôpitaux publics allemands qui ne représentent plus aujourd'hui que 34,1% des établissements hospitaliers. Certes, l'Allemagne a toujours eu un nombre important d'hôpitaux privés mais pour l'essentiel à but non lucratif, le fait nouveau étant l'augmentation forte des établissements commerciaux à but lucratif qui sont passés de 14,8 à 27,8% entre 1991 et 2006. Cette tendance devrait se poursuivre et concerner de plus en plus des établissements importants comme ceux de Hambourg en 2005 ou même l'hôpital universitaire de Marbourg en 2006, ce qui constitue une première en Europe. Dans le même temps, le gouvernement suédois a promulgué une loi en 2004 interdisant toute nouvelle privatisation hospitalière. On peut noter que la France reste le pays d'Europe dans lequel le secteur hospitalier commercial est de loin le plus important.
Les raisons de cette vague de privatisations sont essentiellement liées aux modifications du mode de financement des hôpitaux allemands qui depuis les années 90 reçoivent leurs ressources selon le système dit "DRG" ou Diagnosis Related Grouping, système voisin de la tarification à l'activité ("T2A") en vigueur en France depuis quelques années. Ce système d'allocations de ressources a entraîné une pression financière très importante sur les hôpitaux publics conduisant à un déficit de l'ordre de 1,3 à 2,2 milliards d'euros en 2008. Pour beaucoup de municipalités qui ont la responsabilité directe de la gestion hospitalière, la privatisation est apparue alors comme la seule solution et ce d'autant plus que les financements fédéraux ont considérablement diminué pendant la même période.
Les privatisations ont eu des conséquences importantes sur les personnels hospitaliers et sur la satisfaction des patients : le nombre d'agents hospitaliers a diminué de 9% depuis 1990 alors que la charge de travail a nettement augmenté, notamment dans les établissements privés commerciaux, aussi bien pour les infirmières que pour les médecins. Si les médecins sont mieux payés dans les hôpitaux privés commerciaux, les infirmières y sont moins bien rémunérées que dans le public. Dans le même temps l'index de satisfaction des patients s'est clairement détérioré, la privatisation massive ayant entraîné globalement une baisse de confiance des allemands dans leurs hôpitaux. Par ailleurs, les relations entre hôpitaux se sont dégradées, les groupes privés concluant des accords de coopération à l'échelle nationale et non plus locale ce qui complique considérablement la prise en charge des patients.
Au total, en raison des protestations des personnels et du mécontentement croissant des patients, la privatisation des hôpitaux allemands est de plus en plus contestée avec dans de nombreuses villes allemandes des mouvements de syndicats et d'associations d'usagers s'opposant à des projets de privatisation. Mais force est de constater qu'à Hambourg, malgré un référendum ayant donné une majorité de plus de 75% opposée à la privatisation, la municipalité a quand même décidé de vendre les hôpitaux dont elle avait jusque là la charge. La poursuite de cette tendance dépendra en fait du niveau de financement que l'état fédéral apportera aux hôpitaux publics, sa limitation persistante risquant d'entretenir les privatisations. A suivre...!

lundi 15 décembre 2008

Les salaires des soignants britanniques en forte augmentation

La presse anglaise a révélé récemment que, pour la première fois, une infirmière avait franchit la barre symbolique de 100 000 livres de salaire annuel soit environ 127 000 euros. Ce niveau appréciable de revenu, tout au moins en comparaison avec les salaires des infirmières françaises, est le résultat de la stratégie développée par le NHS (*) pour réduire les délais d'attente qui sont une des plaies du système de santé britannique. Il semble qu'il ne s'agisse pas là d'un cas isolé, plusieurs dizaines d'infirmières ayant des niveaux de revenu du même ordre; il faut préciser cependant qu'il s'agit de "consultant nurses", c'est à dire d'infirmières expérimentées, au nombre d'environ 800 au Royaume-Uni, qui assurent des consultations notamment pour des patients porteurs d'affections chroniques comme le diabète et qui sont en mesure de pratiquer des actes comme par exemple l'exérèse chirurgicale de petites lésions cutanées ou une endoscopie digestive, ce qui en France correspond toujours à un acte médical.
Pour ce qui est des médecins, leurs salaires ont nettement augmenté au cours des dernières années, beaucoup d'entre eux dépassant 200 000 livres (253 779 euros) de revenu annuel, certains atteignant 300 000 euros; là encore, ces niveaux salariaux sont le fait de primes ou de bonus additionnels versés à ceux qui contribuent à la réduction des délais d'attente. Ces salaires additionnels sont négociés de gré à gré dans le cadre de contrats entre chacun des "trusts" qui gèrent les hôpitaux britanniques et les praticiens ou les infirmières sans qu'il soit toujours possible de savoir précisément à combien d'heures supplémentaires de travail correspondent ces indemnités qui peuvent parfois être équivalents au salaire de base.
Ces niveaux de rémunération soulèvent bien entendu de multiples protestations qui se sont encore amplifiées par ces temps de difficultés économiques et ce d'autant plus que ces "largesses" financières ne semblent pas s'accompagner d'une amélioration perceptible de la qualité des soins. Les délais d'attente constatés encore aujourd'hui au Royaume-Uni sont le résultat de coupes sombres dans les budgets sanitaires au cours des années 80-90 et d'une réorganisation profonde du système de santé, essentiellement public et financé par l'impôt ; les soignants, et parfois les équipements, sont devenus ainsi une denrée rare, expliquant le recours à ces incitations financières puissantes pour tenter de réduire les difficultés d'accès aux soins que rencontrent les patients d'outre-manche.
En France, la contraction démographique des soignants et leur mauvaise répartition géographique risquent de contraindre les pouvoirs publics à prendre dans l'avenir des mesures incitatives comparables même s'il est probable qu'elles n'atteindront pas les mêmes niveaux ... quoique !

(*) NHS : National Health Service.

vendredi 12 décembre 2008

Les décès survenant dans le mois suivant une chimiothérapie : résultats d'une enquête nationale au Royaume-Uni.

Le NCEPOD (National Confidential Enquiry into Patient Outcome and Death), organisation britannique indépendante du NHS (*) et des associations professionnelles médicales, a mené une revue nationale consacrée aux patients décédés au cours du mois suivant l'administration d'une chimiothérapie anticancéreuse. Un groupe d'experts a été chargé de revoir les dossiers médicaux ainsi que les éléments essentiels de l'organisation hospitalière des patients traités entre le 1er juin et le 31 juillet et décédés entre le 1er juin et le 31 août de la même année. Plus de 1000 établissements ont été sollicités, seuls 64% d'entre eux ont répondu et 366 ont été retenus. Pendant la période d'analyse, 47 050 traitements ont été documentés ainsi que les 1415 décès survenus au cours du mois suivant dont 1044 se sont avérés exploitables.
De façon globale les résultats de l'enquête sont les suivants :
  • 35% des patients ont reçu des soins jugés satisfaisants, conformes aux standards définis par les experts.
  • Pour 38% des patients, la qualité des soins a été considérée comme perfectible ainsi que leur organisation dans 6% des cas.
  • 8% des patients ont reçu des soins de qualité jugée insuffisante et 8% supplémentaires avaient des dosseirs médicaux considérés comme insuffisamment documentés.
  • Environ 15% des patients ont été admis au cours de leurs derniers 30 jours de vie dans un autre établissement que celui où avait été prescrite et administrée la dernière chimiothérapie.

L'intention thérapeutique était palliative dans 86% des cas, environ un quart des patients présentant lors de l'administration de la chimiothérapie un état général coté 3 ou 4 OMS c'est à dire particulièrement altéré. De plus, 43% des patients ont présenté une toxicité majeure au cours des 30 jours précédents leur décès malgré une réduction des doses dans plus d'un quart des cas
Dans 20% des cas, l'indication de chimiothérapie a été considérée comme inappropriée par le panel d'experts et discutée préalablement de façon pluridisciplinaire uniquement dans 60% des cas. Enfin, les experts ont considéré que dans 27% des cas, la chimiothérapie avait une responsabilité directe dans le décès du patient ou dans le raccourcissement de sa survie.
Les résultats de cette enquête peuvent apparaître sévères pour les cancérologues et les hématologistes britanniques que d'ailleurs bon nombre de commentateurs se sont empressés de critiquer. De fait, la prescription d'un traitement cancérologique spécifique (**) susceptible de dégrader l'état général des patients lors d'une situation palliative avancée, ce qui semble être le cas de la très grande majorité des patients concernés par cette étude, doit rester une décision exceptionnelle, mûrement réfléchie et discutée à plusieurs. Toutefois, rien de permet de penser que cette enquête britannique révèle des pratiques moins pertinentes que dans d'autres pays dont le nôtre... pour la bonne et simple raison qu'aucune étude comparable n'a été effectuée à l'échelle nationale en France. Saluons donc le courage et la franchise de nos confrères britanniques et essayons de les imiter, au moins dans leur souci de transparence.

(*) NHS : National Health Service, organisation étatique gérant le système de santé au Royaume-Uni.

(**) Traitement cancérologique spécifique : par convention recouvre les traitements qui ne sont en général prescrits qu'en présence d'une tumeur maligne. Il s'agit en fait de la radiothérapie et de la chimiothérapie.

mercredi 10 décembre 2008

Les affections de longue durée (ALD) font débat

Dans le numéro 20, paru en novembre 2008, de sa revue Points de Repère, la CNAMTS (*) présente l'état au 31 décembre 2007 des personnes porteuses d'une affection dite de longue durée ou ALD. Rappelons qu'il s'agit d'un dispositif mis en place dès la création de la sécurité sociale, ayant pour but l'exonération du ticket modérateur restant à la charge du patient, en clair la gratuité des soins en rapport avec une des maladies figurant sur une liste fixée par décret. Ces pathologies sont au nombre de 30, d'où l'expression ALD30, auxquelles il faut ajouter un certain nombre de pathologies dites "hors liste" et des situations de pathologies multiples invalidantes.
Il apparaît qu'au 31/12/2007, environ 8 millions d'assurés au régime général bénéficient de la gratuité des soins pour une affection considérée comme de longue durée, soit environ 14% de l'ensemble des assurés de ce régime (hors régime agricole et divers régimes spéciaux dont ceux des non salariés). La progression d'une année sur l'autre est en moyenne de 5,7% assurée pour plus des trois quarts par le diabète, les tumeurs malignes et les maladies cardio-vasculaires.
Au sein des tumeurs malignes, les adénocarcinomes prostatiques se signalent par une augmentation annuelle moyenne de 11% des attributions d'ALD, passées de 65 000 en 1994 à 278 000 en 2007. Ceci ne traduit pas bien entendu l'évolution de l'incidence spontanée des cancers de la prostate mais reflète plutôt la conjonction de trois facteurs bien connus : le vieillissement de la population masculine, la pratique très répandue d'un dosage systématique du PSA (**) et l'augmentation des indications de prise en charge thérapeutique active y compris chez des hommes d'âge avancé. Dans une moindre mesure, il en est de même pour les patientes attributaires d'une ALD pour cancer du sein dont le nombre atteint en 2007 plus de 450 000 avec une augmentation annuelle de 6% traduisant en grande partie les effets du dépistage systématique, collectif ou individuel.
Il faut toutefois remarquer que dans les deux situations précédentes, bon nombre des nouveaux diagnostics portent sur des lésions de tout début, souvent non-invasives, dont il n'est pas certain qu'elles arriveraient à entraîner un quelconque symptôme au cours de la vie du patient ou de la patiente notamment quand le diagnostic est fait au delà de 70 ans voire plus.
Ceci renvoie à la contradiction qui existe entre la définition théorique des patients pouvant bénéficier d'une ALD parce qu'ils sont porteurs "d'une maladie chronique comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse" et la réalité pratique où le seul diagnostic anatomopathologique de cancer suffit à ouvrir les droits indépendamment du type de prise en charge et de la situation clinique du patient. Même s'il est évident que les cancers nécessitent souvent le recours à des traitements prolongés et coûteux, fort heureusement bon nombre d'entre eux sont en fait de prise en charge brève et/ou simple, en particulier pour les formes de début des maladies prostatiques ou mammaires chez des patients âgés.
Les auteurs de cette étude ajoutent que la nécessité d'une surveillance régulière "pour dépister les récidives curables" explique le nombre croissant des patients en ALD. Il faut préciser là que le suivi des patients traités pour cancer est, dans l'immense majorité des cas, particulièrement simple se résumant souvent, en l'absence de fait nouveau, à une ou deux consultations médicales annuelles et à un minimum d'examens complémentaires ce qui ne correspond pas à la situation de maladie chronique "particulièrement coûteuse".
Il paraît donc justifié, non pas de remettre en cause le principe de cette exonération, mais d'en adapter l'attribution en fonction de la réalité médicale et clinique si l'on ne veut pas la compromettre en augmentant indûment le nombre de bénéficiaires au seul motif du diagnostic initial. Ce risque n'est pas que théorique quand on lit les commentaires faits sur cette étude par le directeur de la CNAM lui-même qui envisage une modulation en fonction du type de pathologie ...ou du niveau de revenus, et qui s'interroge par ailleurs sur "l´opportunité d´un autre système de prise en charge qui permettrait de mieux répartir les dépenses et de soulager l'Assurance maladie obligatoire". Conservons notre système universel et solidaire ce qui n'empêche pas d'en améliorer la pertinence et l'équité. Un rapport parlementaire récent aborde d'ailleurs directement le sujet des ALD, il faudra rester attentif à son avenir législatif !
(*) CNAMTS : Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
(**) PSA : marqueur du tissu prostatique normal et pathologique, dosable dans le sang circulant, pouvant être utile au diagnostic précoce des cancers de la prostate quand il est couplé à l'examen clinique (toucher rectal) et à un éventuel complément par échographie prostatique.

lundi 8 décembre 2008

Journalisme médical et conflits d'intérêts

La nouvelle n'est pas passée inaperçue dans le milieu du journalisme scientifique et médical américain : le docteur F.K. Goodwin, psychiatre reconnu et ancien directeur du National Institute of Mental Health, aurait reçu de l'industrie pharmaceutique la coquette somme de 1,3 million de dollars entre 2000 et 2007. L'affaire prend un tour particulier quand on sait que F.K. Goodwin participe régulièrement à une émission scientifique grand public très suivie aux USA, Infinite Mind, sans que le producteur de l'émission ait été informé de ces liens financiers personnels.
La presse rapporte ainsi que le Dr. Goodwin a recommandé lors d'une de ses émission récentes le traitement médicamenteux des troubles bipolaires (*) de l'enfant pour éviter toute dégradation des fonctions cérébrales dans l'avenir; mais, le même jour, il recevait un chèque de 2 500 dollars de la part du laboratoire GSK (GlaxoSmithKline) pour une conférence promouvant la prescription d'un médicament stabilisant l'humeur, le lamotrigine, commercialisé par GSK sous le nom de Lamictal. Au total, GSK a versé en 2007, 329 000 dollars au Dr. Goodwin pour ses actions de promotion du Lacmital. Du coup, l'autorité de contrôle de la radio publique aux USA a décidé de retirer l'émission de ses programmes pendant que le laboratoire GSK faisait remarquer que les praticiens qui reçoivent des fonds des laboratoires ont seuls la responsabilité de déclarer ces liens, ce que manifestement le Dr. Goodwin a omis de faire.
L'affaire est d'autant plus retentissante que l'émission The Infinite Mind a reçu de très nombreux prix et est considérée comme la meilleure production médicoscientifique américaine, suivie régulièrement par plus d'un million d'auditeurs. Mieux encore, elle est agrée par le NIH (**) et la National Science Foundation, organismes qui tous deux exigent des participants une déclaration formelle attestant de l'absence de liens avec l'industrie.
Cette affaire s'inscrit dans le cadre plus vaste d'une démarche du congrès américain cherchant à évaluer et à sanctionner les liens entre leaders d'opinion médicoscientifique et les industriels du médicament; c'est ainsi, qu'en octobre dernier, le Dr Charles Nemeroff de l'Université Emory d'Atlanta, a été convaincu d'avoir reçu entre 2000 et 2007 plus de 2,8 millions de dollars des laboratoires dont il a au passage "oublié" de déclarer 1,2 million ! Le NIH a suspendu les 9,3 millions de dollars de crédits de recherche destinés à l'université Emory et par ailleurs, le Dr Nemeroff a démissionné de sa fonction de chef de département de psychiatrie.
La liste de ceux qui entretiennent des liens financiers étroits avec l'industrie est en train de s'allonger de façon préoccupante au point que la quasi totalité des centres universitaires et hospitaliers les plus importants sont concernés. Une législation dédiée est en préparation obligeant à une déclaration officielle pour tout versement supérieur à 500 dollars, principe auquel Eli Lilly et Merck disent adhérer.
Le cas Goodwin comporte une dimension particulière, celle des rapports entre les industriels et les journalistes, souvent médecins, qui traitent de sujets médicaux. La même presse américaine insiste sur le fait que les rémunérations directes, les voyages tous frais payés, souvent pour deux personnes, les animations de manifestations promotionnelles, etc, contribuent à jeter un doute sur la neutralité des informations diffusées, même si le président de l'association américaine des journalistes médicaux considère qu'il s'agit de cas marginaux tout en reconnaissant que leur nombre est croissant.
Il est probable que ce qui est étalé dans la presse aux USA existe ailleurs avec peut-être plus de dissimulation ; quoiqu'il en soit on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a là une voie pour limiter la progression sans fin du coût des prescriptions médicamenteuses au delà de la nécessaire transparence vis à vis des patients qui, in fine, ont droit à une information honnête puisqu'ils consomment et payent, parfois à tous les sens du mot, les molécules que leur prescrivent leurs médecins.

(*) Les troubles bipolaires (autrefois appelés maniaco-dépressifs) entraînent chez les sujets qui en souffrent des fluctuations excessives, parfois extrèmes, de l'humeur sans qu’il n’y ait forcément un événement extérieur perceptible ou de façon disproportionnée qaund il existe.
(**) NIH : National Institue of Health

vendredi 5 décembre 2008

Renoncement aux soins non urgents : une comparaison internationale

L’organisation non gouvernementale américaine Commonwealth Fund a fait paraître dans le numéro de novembre du journal Health Affairs une étude du taux de renoncement aux soins dans plusieurs pays développés dont les USA par les patients porteurs de pathologies chroniques lourdes comme un diabète, une cardiopathie, un cancer ou une dépression. A partir d’un échantillon de 7500 patients US, une comparaison a été effectuée avec 7 autres pays tous caractérisés par un système universel d’assurance santé Australie, Grande-Bretagne, Canada, France, Allemagne, Pays-Bas et Nouvelle Zélande.
On apprend ainsi que 54% des patients américains inclus dans l’étude ont évité à un moment ou à un autre de prendre des médicaments ou de se rendre à une consultation médicale et ce pour des raisons purement financières. En outre, 42% ont déclaré qu’ils avaient dépensé plus de 1000 $ de leur poche pour des soins médicaux au cours de l’année écoulée, alors que seulement 4% des britanniques et 8% des hollandais ont été contraints de faire de même.
Commonwealth Fund ajoute que les patients américains ont plus de risques que les autres d’être victime d’un incident médical comme une erreur de prescription médicamenteuse ou un retard dans la communication d’un résultat d’examen anormal; globalement, les patients américains sont plus exposés que ceux des autres pays à une mauvaise coordination de leur prise en charge médicale.
La conclusion est bien entendu en faveur d'un système de couverture santé universelle, même si les moyens pour y parvenir font débat et constitueront un des chantiers majeurs de la nouvelle administration américaine. Dans cet ordre d'idée, on peut rappeler les éléments contenus dans le rapport Eurothine qui montrent que les systèmes fondés sur une contribution sociale généralisée appelés aussi "bismarckiens" semblent plus efficaces que ceux assis sur l'impôt.

mercredi 3 décembre 2008

Faut-il rapatrier les immigrants US non assurés quand ils sont malades ?

La presse américaine a consacré plusieurs articles récents au problème posé par la prise en charge des immigrants dépourvus d’assurance santé. Ainsi, le New York Times rapporte dans ses colonnes le cas d’un jeune mexicain de 19 ans, ouvrier agricole dans la région de Phoenix, Arizona, plongé dans un coma profond après un accident de la circulation. Bien qu’immigrant légal et socialement bien intégré, le fait que le pronostic vital soit très réservé et que, surtout, il soit dépourvu d’assurance santé ont fait que l’hôpital américain a décidé de le transférer sous respirateur à Mexicali, ville du Mexique située à 4 heures de route de Phoenix, où il a été hospitalisé dans un service d’urgence très encombré. Les parents du jeune homme se sont démenés pour trouver un hôpital en Californie qui a accepté de le prendre en charge ; ils ont donc loué une ambulance, hospitalisé leur fils aux USA alors qu’il était porteur d’une complication infectieuse majeure. Quelques semaines plus tard, le jeune homme était non seulement vivant, mais en grande partie valide et pris en charge dans un centre de rééducation californien.
Cette histoire, comme d’autres, illustre la façon erratique dont le système de santé américain prend en charge les immigrants non assurés victimes d’accidents graves ou sérieusement malades. Il semble qu’en fonction du service d’urgences dans lequel ils sont initialement accueillis, leur sort soit drastiquement différent, prise en charge normale ou transfert dans le pays d’origine ! Ces décisions arbitraires, éthiquement très discutables, sont le fruit du croisement entre une politique d’immigration en échec patent et un système de santé en grande difficulté.
L’accumulation de ces anomalies de prise en charge et leur publication dans la presse ont suscité une vive émotion dans la collectivité médicale américaine qui souhaite que des règles nationales soient instituées. En attendant, l’American Medical Association s’est saisi de la question sans toutefois la trancher complètement compte tenu des conséquences financières pour les hôpitaux d’une prise en charge systématique pour tous les immigrants non assurés dans la mesure où il n’existe pas ou peu de compensation financière étatique ou fédérale. Mais dans le même temps, l'association médicale californienne a pris les devants en s'opposant à toute rapatriation forcée des patients en raison soit d'une situation vitale jugée irréversible soit de l'absence d'assurance santé, soit des deux. Voilà un autre sujet épineux pour la réforme du système de santé américain promise par le président récemment élu.

lundi 1 décembre 2008

La chirurgie cancérologique en France en 2006

La FHF, fédération des hôpitaux publics français, a publié en octobre sa lettre Info en Santé n°15 consacrée à l'évolution des parts de marché des différents secteurs hospitaliers entre 2002 et 2006. Un développement particulier a été consacré à la chirurgie des cancers et notamment à l'impact prévisible des seuils d'autorisation tels qu'ils ont été publiés par l'INCa en juin 2008.
Globalement le nombre de séjours pour chirurgie d'un cancer augmente de + 3,8% par an, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé pour atteindre le chiffre cumulé de 416 365 en 2006 avec un partage à peu près égal entre les deux secteurs, respectivement 47,3 et 52,7 %. Ainsi, en 2006 plus d'un cancer sur deux est opéré dans un établissement privé avec des variations fortes suivant les pathologies concernées : la part du secteur hospitalier public est de 56% pour les cancers digestifs, de 58% pour les cancers gynécologiques, de 63% pour les cancers ORL, de 54% pour les cancers du sein, de 63% pour les cancers thoraciques mais uniquement de 39% pour ce qui est des cancers urologiques, essentiellement représentés par les tumeurs de la prostate. Il est à noter que les séjours pour chirurgie d'un cancer urologique ont augmenté de plus de 30% entre 2002 et 2006 ce qui est très au-delà de l'augmentation spontanée de fréquence de ces affections; l'explication pouvant résider dans une amélioration progressive du codage mais peut-être aussi dans une extension des indications chirurgicales notamment chez des patients de plus en plus âgés porteurs d'un cancer prostatique.
Par ailleurs, cette étude évalue à moins de 10% le nombre de séjours qui devront dans l'avenir être effectués dans un autre établissement pour respecter les seuils minima d'activité fixés par l'INCa . Ce chiffre est relativement faible, traduisant très probablement le fait que les seuils d'activité retenus pour autoriser les établissements à traiter les patients porteurs d'un cancer, ont été choisis (volontairement) à un niveau peu élevé de l'ordre de 20 à 30 interventions par an pour chaque grande pathologie tumorale. De toute façon, si les seuils choisis avaient été plus hauts, le nombre de séjours à déplacer d'un établissement dans un autre aurait posé des problèmes majeurs de faisabilité pratique pour les établissements chargés de les accueillir avec le risque de délais importants de prise en charge. Toutefois, dans un premier temps, la fixation de ces seuils aura vraisemblablement la vertu d'éliminer les lieux de traitements où un niveau trop faible d'activité n'est pas compatible avec une qualité optimale des soins.
Au total, on retrouve dans ces éléments chiffrés la traduction des deux grandes caractéristiques de l'offre chirurgicale cancérologique française : d'une part, la contribution importante du secteur privé commercial, largement supérieure à celle constatée dans tous les autres pays européens comparables, et d'autre part la grande dispersion des lieux de traitement que va partiellement réduire l'instauration des seuils minima d'activité pour qu'un établissement soit autorisé à traiter les patients porteurs de cancer.

samedi 29 novembre 2008

L'innovation technologique médicale est-elle toujours pertinente ?

Dans une récente enquête d'opinion (IFOP, Ligue contre le cancer, octobre 2008), les français ont déclaré que c'était dans les chercheurs qu'ils faisaient le plus confiance pour améliorer la prise en charge des patients porteurs de cancer. Cette confiance régulièrement renouvelée dans les mérites de l'innovation est a priori une excellente chose dans la mesure où elle soutient en grande partie l'effort de générosité que consent le public pour la recherche en général et la recherche cancérologique en particulier, venant ainsi compléter le soutien financier étatique qui reste globalement insuffisant.
Toutefois, cette "foi" quasi inébranlable du public dans les bienfaits de l'innovation doit être quelque peu tempérée dans les faits. En effet, pour qu'une innovation médicamenteuse ou technologique ne reste pas confidentielle et qu'elle puisse bénéficier au plus grand nombre, elle doit à un moment ou à un autre rencontrer une stratégie industrielle qui fait, elle, le pari d'un bénéfice commercial suffisant pour au moins compenser les risques financiers pris lors des étapes préalables à la mise sur le marché. De ce fait, le travail des chercheurs, notamment de ceux qui oeuvrent dans des institutions publiques et qui sont à l'origine de l'essentiel des avancées fondamentales, ne trouvera d'application humaine que si l'équation économique est résolue, ou susceptible de l'être, par l'industrie.
Si les nouveaux médicaments font l'objet de démarches multiples d'évaluation et d'approbation avant d'être largement diffusés, les innovations technologiques n'obéissent pas aux mêmes règles et font pour l'essentiel l'objet de contrôles visant à vérifier leur absence de dangerosité pour l'homme à partir de séries de patients relativement courtes, en tout cas beaucoup moins importantes que pour une nouvelle molécule. Il est en effet très difficile de concevoir des démarches comparatives, comme celles qui sont habituelles pour les médicaments, entre l'utilisation de deux techniques ou technologies médicales dont les caractéristiques sont le plus souvent trop différentes pour que la comparaison ne soit pas biaisée. De ce fait, un certain nombre de technologies médicales innovantes, ou réputées telles, font leur entrée sur le marché du matériel médical sans que l'on soit tout à fait sûr qu'elles apportent un avantage substantiel par rapport à l'éventail des appareils déjà disponibles.
Ce sujet est actuellement à l'origine d'une vive controverse au sein de la FDA (*) pour savoir si les nouveaux appareillages doivent faire l'objet d'une évaluation préalable aussi longue et rigoureuse que les médicaments ou s'ils peuvent bénéficier de la procédure dite "fast track" qui, comme son nom l'indique, a pour but d'accélérer l'essor des innovations techniques en simplifiant leur évaluation préalable. En France, la HAS (**) a initié une démarche spécifique confiée à sa Commission d'évaluation des produits et prestations qui fait elle-même partie d'un réseau européen baptisé European Network for Health Technology Assessment (EuNetHTA). Dans tous les cas, les décisions sont essentiellement fondées sur une revue de la littérature publiée et sur des avis d'experts.
Il existe en fait de nombreux exemples de nouveaux matériels ou de "modernisations" de matériels existants dont l'utilisation humaine n'a jamais fait l'objet au préalable d'une étude mesurant réellement la performance supplémentaire apportée. Chaque fois, un marketing habile, l'attrait de la nouveauté, la peur pour certains de ne pas disposer des matériels les plus récents, l'influence d'experts parfois proches des industriels, ont eu raison de la prudence que l'on serait en droit d'attendre en la matière. Dans la plupart des cas, ces innovations techniques ont toutefois très vraisemblablement profité au patient mais le plus souvent au prix d'un coût élevé d'investissement et de fonctionnement, le triomphe de l'informatique ayant eu en outre pour effet de raccourcir fortement la durée de vie des matériels. Dans certains autres cas, l'avantage clinique n'est pas manifeste mais il n'existe pas de possibilité de "marche arrière" dans un processus devenu dépendant de la stratégie des constructeurs. Il paraît ainsi tout à fait indispensable de garder une maîtrise raisonnée sur cette évolution pour éviter que les médecins et leurs patients deviennent captifs d'innovations décidées par d'autres.
(*) FDA : Food & Drug Administration, USA
(**) HAS : Haute Autorité de Santé

jeudi 27 novembre 2008

Vers la "socialisation" du système d'assurance santé aux USA ?

Sans attendre la prise de fonction officielle, en janvier prochain, du "president elect" Barack Obama, le président démocrate de la commission des finances du congrès américain a publié un projet de loi visant à garantir à tous les américains l'accès à une assurance santé qui aujourd'hui fait défaut à environ 45 millions d'entre eux. Le projet consiste à faciliter l'accès aux assurances privées et à étendre le champ des bénéficiaires du Medicaid (*) et du Medicare (**).
Ainsi, les personnes âgées de 55 à 64 ans qui ne peuvent bénéficier des programmes publics d'assurance ou des contrats de groupe (4 millions de personnes concernées) pourraient désormais accéder au Medicare jusqu'ici réservé aux plus de 65 ans. Le programme Medicaid destiné aux plus démunis deviendrait accessible à tous ceux qui se situent en dessous du seuil de pauvreté (au moins 7 millions de personnes) fixé à 17 600 $ annuels (13 900 euros) pour une famille de trois. Le programme national d'assurance des enfants serait étendu à tous ceux dont la famille à des revenus inférieurs à 2,5 fois le seuil de pauvreté.
Par ailleurs, le projet propose de faciliter l'accès des immigrants légaux au programme Medicaid et à celui concernant spécifiquement les enfants. A l'heure actuelle, ces immigrants ne peuvent pas bénéficier de ces programmes durant les 5 premières années de leur séjour aux USA.
Enfin, dans la mesure où un américain sur deux est couvert par une assurance santé émanant de son employeur, le projet propose de lutter contre l'érosion de cette couverture, conséquence de la crise économique actuelle, en offrant des crédits d'impôt aux petites entreprises pour leur permettre de supporter les coûts d'assurance dont bénéficient leurs employés. Un mécanisme similaire de crédit d'impôt serait appliqué à ceux qui souscrivent une assurance personnelle volontaire et dont les revenus se situent en dessous de 70 400 $ (55 530 euros) pour une famille de trois, soit 4 fois le seuil de pauvreté.
Ce n'est pas encore l'état providence, mais cela y ressemble de plus en plus !

(*) Medicaid est un programme fédéral d'assistance médicale existant depuis 1964 et réservé aux plus démunis qui ne peuvent accéder aux assurances privées.
(**) Medicare est le nom donné au système d'assurance de santé géré par le gouvernement américain et destiné aux personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.

lundi 24 novembre 2008

Ascenseur pour la mondialisation des risques sanitaires

Le 7 octobre dernier, des camions venant des USA sont bloqués par les douanes mexicaines en raison d'une radio-activité anormale qui provient en fait de boutons d'ascenseurs Otis, en forme de pièce de monnaie, précédemment livrés par la société iséroise française Mafelec. Ces matériels avaient déjà été détectés par les douanes US le 3 octobre précédent mais finalement autorisés à entrer. Le colis avait déclenché une alerte en passant sous le portique de détection lors de son départ de Roissy le 17 septembre, mais cet incident n'avait pas été signalé aux autorités pour des raisons inconnues à ce jour. La société Mafelec qui fabrique, entre autres, des boutons d'ascenseurs essentiellement pour le compte d'Otis, reçoit les pièces métalliques qui les constituent de deux sociétés indiennes, Bunts et Laxmi Electronics, qui elles-mêmes s'approvisionnent chez SKM Steels qui se fournit lui dans une fonderie également indienne, Vipras Casting. De fait, plusieurs milliers d'entreprises indiennes, dont 4 500 fonderies, se sont spécialisées dans le recyclage des déchets notamment métalliques. Elles sont totalement dépourvues de matériel de détection, ce qui laisse la porte ouverte à des déchets toxiques, explosifs ou, dans le cas d'espèce, radioactifs. Il s'agit en l'occurrence de cobalt 60 provenant vraisemblablement de matériels de radiothérapie ou d'un irradiateur industriel réformé.
Les pièces contaminées sont arrivés en France à partir du mois d'août dernier sans déclencher une quelconque alerte Elles ont donc été manipulées par les salariés de la société Mafelec sans précaution particulière et ce n'est que lors de leur réexpédition que leur radioactivité anormale a été détectée.
Même si les quantités de radioactivité présentes dans les boutons-poussoirs sont faibles, l'enquête de l'ASN (*) a montré que plus d'une vingtaine de salariés de Mafelec avaient reçu une dose d'exposition de 1 à 3 millisievert (**) et donc supérieure à la limite réglementaire fixée pour le public à 1 par an, ce qui en fait un incident de niveau 2 sur une échelle qui en compte 7. L’ASN a transmis au procureur de la République un procès-verbal à l’encontre de la société Mafelec faisant état de plusieurs infractions notamment au code de la santé publique. Par ailleurs, une enquête internationale a montré que des incidents identiques avaient été décelés en Suède.
Comme lors d'autres affaires de la même veine (héparine chinoise frelatée, produits alimentaires divers contaminés, etc), on retrouve chaque fois la recherche par des acteurs industriels occidentaux du coût de fabrication le plus bas possible, ce que seuls des pays comme la Chine ou l'Inde, entre autres, sont capables d'offrir. Jusqu'où peut-on déléguer dans des pays situés à des milliers de kilomètres la réalisation d'éléments essentiels de notre vie quotidienne sans avoir toujours les moyens de s'assurer de leur innocuité ?
L'Inde envisage de faire passer sa production d'acier de 56 millions de tonnes en 2008 à 280 millions en 2020, une partie importante provenant du recyclage de matériels divers provenant pour l'essentiel des pays occidentaux. Bien qu'elle ait récemment édicté des lois visant à interdire l'importation de matériels dangereux notamment radioactifs, elle n'a pas, de l'aveu même des autorités indiennes, les moyens d'en assurer le contrôle effectif lors de leur entrée sur son territoire. Il y a donc fort à parier que d'autres incidents du même type se reproduiront dans l'avenir ce qui incite à faire en sorte que nos systèmes de contrôle soient efficaces, ce qui ne semble pas être toujours le cas...

vendredi 21 novembre 2008

Les hôpitaux américains rentrent dans le rouge

Si les hôpitaux publics français ont manifestement des problèmes budgétaires sérieux, ils ne sont pas les seuls, même si les raisons de ces difficultés peuvent être très différentes. Aux USA, l'AHA (*) signale qu'un grand nombre d'hôpitaux voient leurs recettes diminuer sensiblement depuis plusieurs mois en raison d'une baisse du nombre d'admissions notamment pour les traitements qui sont peu ou pas pris en charge par la plupart des assurances santé : remplacement prothétique du genou, cure de hernie, chirurgie de l'obésité, etc. Or ces actes sont parmi ceux qui rapportent le plus aux hôpitaux américains, ce qui permet notamment aux établissements à but non lucratif de couvrir les frais encourus par la prise en charge des démunis et par les impayés dont le nombre ne fait que croître.
Cette évolution est bien entendu une des conséquences de la crise économique actuelle qui vient aggraver une situation sanitaire globale déjà précaire et fortement inégalitaire. Les patients ont ainsi tendance à retarder leur hospitalisation non urgente pour éviter une interruption de travail et "arbitrent" entre nourriture (ou carburant !) et soins médicaux. Pour beaucoup, la seule solution est d'attendre où alors de se rendre aux urgences ce qui oblige alors l'hôpital d'accueil à les prendre en charge. Les difficultés financières actuelles qui touchent de nombreux américains entraînent une augmentation très importante des impayés et des soins dits "de charité" qui atteindront 8 milliards de dollars en 2008 pour la seule Californie, alors qu'ils n'étaient que de 5,8 milliards en 2005.
Cette réduction d'activité semble avoir des conséquences immédiates dans plusieurs établissements comme fermeture et regroupement, licenciements, arrêt des investissements, etc., y compris dans des institutions aussi prestigieuses que le Massachussetts General Hospital de Boston ou le Medical Center de l'Université de Pittsburgh. La portée de ces mesures d'économie est toutefois réduite dans la mesure où bon nombre de grands hôpitaux ont déjà fait l'objet dans le passé récent de mesures drastiques s'inscrivant dans le cadre du "management financier" des établissements. Un autre facteur vient par ailleurs aggraver la situation des hôpitaux américains, c'est la raréfaction et le renchérissement du crédit ; en effet, la grande majorité des établissements américains sont à but non lucratif et sont donc obligés d'emprunter auprès des structures municipales pour leurs investissements.
Pour l'ensemble de ces raisons, les hôpitaux américains doivent donc être attentifs encore plus qu'auparavant à ce que l'éventail de leurs patients assure un équilibre financier, ce qui revient peu ou prou à une sélection des admissions. Ainsi, le souci de garder une situation financière non déficitaire conduit d'ores et déjà bon nombre d'établissements à revoir la liste des actes non urgents qu'ils proposent en éliminant ceux pour lesquels le risque de non paiement est le plus important, comme par exemple la chirurgie bariatique (**), quand on sait que l'incidence de l'obésité majeure est inversement proportionnelle au niveau de revenus !
(*) AHA : American Hospital Association
(**) Chirurgie bariatique : ensemble de techniques chirurgicales visant à réduire une obésité majeure qualifiée de morbide. Le but est de modifier les capacités d'absorption et/ou d'assimilation du tube digestif en réalisant des dérivations internes ou des procédures de restriction de remplissage comme la mise en place d'un "anneau gastrique" réduisant la capacité de réplétion de l'estomac.

mardi 18 novembre 2008

L'aspirine ne sera désormais plus fabriquée qu'en Asie

Dans la concentration industrielle pétrochimique de la banlieue sud de Lyon, il existe une usine au passé historique prestigieux que les riverains appellent depuis toujours "la Rhodia". Sa célébrité vient du fait que l'usine fabrique depuis 1908 un médicament majeur, l'aspirine, synthétisée en 1890 par l'allemand Bayer. Le groupe Rhodia a récemment fait savoir qu'elle envisageait d'arrêter la fabrication d'aspirine dans son usine du Rhône qui aujourd'hui fournit environ le quart de la production mondiale. La raison est bien sûr économique, l'essentiel de la fabrication étant aujourd'hui réalisée en Chine avec des coûts de production bien inférieurs.
Le problème c'est que l'usine lyonnaise est la dernière en Europe et aux Etats-Unis à fabriquer de l'aspirine, car même l'industriel historique Bayer reçoit son aspirine de Chine. Dans le même temps, quelques dizaines de kilomètres plus au sud, le groupe Rhodia est en train de fermer une autre usine qui fabrique elle de l'acétaminophène, c'est à dire du paracétamol. Il s'agit là aussi de la dernière usine européenne produisant cette molécule très largement utilisée dans le monde entier et qui sera désormais fabriquée pour l'essentiel en Chine comme l'aspirine.
Le désir des consommateurs de bénéficier des prix les plus faibles possibles, le souci des entreprises et de leurs actionnaires de maintenir malgré cela leurs bénéfices, ont conduit naturellement à un déplacement des lieux de fabrication de nombreux biens dont certains sont essentiels comme les médicaments que nous consommons quotidiennement. La question est alors de savoir quels moyens avons-nous de contrôler la qualité des produits dont nous sous-traitons la fabrication au seul argument économique ? Si les agences sanitaires nationales n'ont de compétence que sur leur territoire, il est clair qu'aucun laboratoire pharmaceutique occidental ne souhaite être à l'origine d'un désastre sanitaire ce qui les oblige à effectuer de multiples contrôles sur les sites de fabrication et à la réception des produits. Le résultat est que les produits disponibles sur le marché occidental et notamment français sont pour l'essentiel sans risque particulier.
Toutefois, le développement des génériques a entraîné la naissance de milliers d'usines chinoises dont le contrôle exhaustif est devenu aujourd'hui illusoire. Récemment, plusieurs scandales ont jeté un doute sur la qualité et la sûreté des produits pharmaceutiques fabriqués en Chine comme par exemple au printemps dernier l'apparition d'une héparine frelatée qui a entraîné aux USA une centaine décès et exposé à des risques létaux des dizaines de milliers d'autres. Il est à noter que l'héparine en question était fabriquée et commercialisée par les laboratoires américains Baxter, mais à partir d'ingrédients provenant de Chine.
Là aussi, il semble qu'un retour de la régulation d'état, notamment dans les pays comme les USA où la dérégulation et la gestion privée ont été en toute matière érigées en principes fondamentaux pendant de longues années, devienne urgente pour éviter que les gains économiques immédiats générés par la soustraitance internationale ne débouchent sur des catastrophes sanitaires extrêmement coûteuses. C'est en France, une des missions de l'AFSAPPS (*) qui dispose de laboratoires d'analyse spécifiques et qui à ce jour n'a signalé aucun cas avéré de contrefaçon de médicaments vendus en pharmacie. Il n'en est pas de même pour ce qui est des médicaments achetés sur le Net, où les supercheries sont nombreuses et parfois dangereuses. Il existe par ailleurs une coopération internationale permettant le signalement rapide de l'apparition d'une contrefaçon de médicament, événement qui s'est produit à plusieurs reprises dans des pays européens limitrophes de la France.
De toute façon, il est devenu aujourd'hui impossible de faire marche arrière en rapatriant sur notre sol, fût-il européen, la capacité industrielle chinoise de production médicamenteuse que nous avons nous mêmes encouragée. Il faut donc accepter d'être devenus dépendants à la condition expresse de rester vigilants !
(*) AFSSAPS : Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé

samedi 15 novembre 2008

Dépassements dangereux

Le journal économique La Tribune a eu récemment accès à un projet de décret visant à encadrer les dépassements d'honoraires des médecins dont on sait qu'ils sont en forte augmentation et ont atteint 2 milliards d'euros en 2005 selon un rapport de l'IGAS .
Cette tendance est susceptible de remettre en cause le principe fondamental de l'égalité d'accès aux soins médicaux en France. Les dépassements d'honoraires constituent en fait un transfert de charges déguisé dans la mesure où ils font payer au patient, qui a déjà supporté le poids de ses cotisations sociales, ce que, à tort ou à raison, l'assurance collective et l'Etat ne souhaitent pas honorer, tout en laissant aux praticiens eux-mêmes la liberté d'en décider.
Le texte en projet prévoirait des pénalités lors de dépassements "exagérés" c'est à dire, selon la formule consacrée, ayant échappé au "tact et à la mesure" auxquels chaque médecin est tenu de se conformer par son code de déontologie. Le flou de cette recommandation éthique inciterait les pouvoirs publics à en préciser les contours en retenant semble-t-il 5 critères dont le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils suscitent débat.
Ainsi, l'état de fortune du patient pourrait justifier ou non un dépassement; pourquoi pas, mais comment le médecin apprécie-t-il les revenus et le patrimoine de son patient si ce n'est de façon parfaitement subjective au vu de la profession, de l'habillement, de la voiture garée dans le parking,... ? Faut-il consulter avec des vêtements usagés, sans montre de prix et sans bijoux, pour échapper au dépassement ?
La notoriété du praticien constituerait le deuxième critère. Qui en décide et qui en fixe le niveau ? Pendant longtemps, les titres universitaires ou hospitaliers étaient considérés comme un gage de notoriété : "ancien chef de clinique, médecin attaché des hôpitaux, etc... " Est-ce qu'aujourd'hui une présence répétée sur les plateaux de télévision est un élément de nature à justifier des honoraires élevés ?
Ensuite, le décret retiendrait le service rendu au patient, ce qui est une notion pour le moins ambiguë dont la réalité peut être toute différence selon que l'on se place du côté du patient ou du médecin. Pour ce qui est de la complexité de l'acte, susceptible de permettre une majoration d'honoraires, on rappelle qu'elle est déjà prise en compte par l'assurance maladie dans le tarif opposable des prestations.
Enfin, le décret retiendrait comme critère pour juger du caractère excessif ou non du dépassement "les tarifs habituels des praticiens installés à proximité". Voilà qu'apparaît la notion de zone de "chalandise médicale" au sein de laquelle les praticiens pourraient fixer leur niveau de rémunération en fonction de celle de leurs confrères proches. On peut raisonnablement craindre une surenchère collective et par ailleurs déplorer que se constituent ainsi des "ghettos" tarifaires venant encore dégrader la nécessaire mixité sociale.
Il est ainsi facile de comprendre que, comme l'indique La Tribune, le Conseil de l'Assurance Maladie a majoritairement voté contre ce projet de décret à l'argument de son inapplicabilité en l'état. Faut-il rappeler que le "marché" de la santé est un marché captif largement solvabilisé par les cotisations sociales et dans une moindre mesure par l'impôt; de ce fait lui appliquer des schémas concurrentiels dans lesquels les fournisseurs de soins peuvent fixer librement leurs tarifs, ont la permission de s'entendre entre eux pour en déterminer le niveau sans qu'à aucun moment le "client" ait la réelle possibilité de faire jouer une réelle concurrence, constitue un système pervers qui, s'il perdure ou s'aggrave, risque de saper la confiance qu'ont jusqu'ici les français dans leur système de santé. D'ores et déjà beaucoup d'entre eux pensent que l'on est mieux soigné quand on a de l'argent, ce qui heureusement n'est pas encore globalement vrai. Attention à ce que cela ne le devienne pas vraiment!

jeudi 13 novembre 2008

Le respect des recommandations internationales reste insuffisant lors du traitement des cancers coliques

On sait depuis longtemps que la qualité de l'évaluation préthérapeutique influence fortement les résultats du traitement des cancers. Cette évaluation, appelée souvent de façon impropre "bilan", a pour but essentiel de définir avec le plus de précision possible la catégorie pronostique dans laquelle se situe le patient et de lui proposer en conséquence le traitement le plus adapté à sa situation. Le raffinement constant de cette évaluation est soutenu par les données issues de la recherche clinique et par les améliorations régulières de la performance des explorations diagnostiques.
Ainsi, dans le traitement des cancers colo-rectaux, il est admis depuis plus de 10 ans que, lors de la chirurgie, qui est habituellement le premier temps thérapeutique, le segment colique ou rectal enlevé doit être accompagné de l'exérèse d'au moins 12 ganglions situés dans la zone de drainage de la tumeur, leur envahissement éventuel étant un paramètre pronostique majeur. De fait, un nombre total insuffisant de ganglions analysables dans la pièce opératoire rend aléatoire le classement dans une catégorie pronostique, notamment quand aucun envahissement ganglionnaire n'est retrouvé.
Le JNCI (*) a publié récemment un article qui rapporte l'analyse des données issues de la base nationale cancer US portant sur près de 75000 patients opérés en 1996-1997 et 82000 autres entre 2004 et 2005. L'objectif de l'étude est d'évaluer le taux de respect de la recommandation nationale qui était qu'au moins 75% des pièces opératoires permettent l'analyse d'au moins 12 ganglions.
Pour la période 96-97, seuls 15% des hôpitaux américains respectaient les recommandations précédentes, taux qui n'est passé qu'à 38% en 2004-2005. Par ailleurs, si dans l'intervalle 900 hôpitaux ont amélioré leur performance, 310 autres ont vu leur taux de respect de ces recommandations diminuer.
Cette étude montre par ailleurs qu'il existe des différences sensibles entre les différents types d'hôpitaux puisque le taux de respect des recommandations en 2004-2005 est de près de 80% dans les Comprehensive Cancer Centers (**) labellisés par le NCI (***), de 53% dans les hôpitaux de l'administration des Veterans (anciens combattants) et seulement de 34% dans les hôpitaux locaux qualifiés selon la terminologie américaine de "communautaires" au sens territorial du mot.
Ces résultats inspirent deux types de réflexion: d'une part il existe une marge de progression importante dans la qualité des soins, ce qui n'est pas vraiment original, et d'autre part la spécialisation des établissements est un gage d'amélioration de la performance, ce qui est rassurant. Toutefois, il est totalement inenvisageable de concentrer tous les patients porteurs d'un cancer colique dans les institutions spécialisées ; il est par contre indispensable de diffuser les bonnes pratiques dans tous les lieux de soins en veillant cependant à ce qu'un volume minimum d'actes y soit réalisé. C'est l'objectif poursuivi par l'Institut National du Cancer français qui a récemment fixé des seuils minimaux d'activité pour qu'un établissement soit autorisé à traiter les cancers.
(*) JNCI : Journal of the National Cancer Institute
Lymph Node Evaluation as a Colon Cancer Quality Measure: A National Hospital Report Card. Karl Y. Bilimoria, David J. Bentrem, Andrew K. Stewart, Mark S. Talamonti, David P. Winchester, Thomas R. Russell, and Clifford Y. KoJ Natl Cancer Inst 2008, 100: 1310-1317.
(**) Comprehensive cancer centers : établissements US spécialisés en cancérologie répondant à des critères stricts et notamment à l'impératif de pluridisciplinarité. Labellisés par le NCI (***), ils sont à l'heure actuelle au nombre de 43. Leur structure et leur modes opérationnels sont comparables aux 20 centre anti-cancéreux français.
(***) NCI : National Cancer Institute

mercredi 12 novembre 2008

Gynécologie médicale : savoir raison garder.

En ces temps de disette démographique médicale annoncée, le syndicat des gynécologues médicaux relance une polémique sur les menaces qui pèsent à leurs yeux sur les effectifs de leur discipline. Pour étayer leur démarche, ils (où plutôt elles, dans la mesure où il s'agit pour l'essentiel de femmes) ont commandé à BVA un sondage dont il ressort globalement que les femmes françaises plébiscitent leur gynécologue et s'inquiètent donc de leur raréfaction prochaine.
Ce débat est emblématique des difficultés qu'il y a, en France peut-être plus qu'ailleurs, à s'affranchir de corporatismes divers. Quel est le problème ? La France est un des rares pays au monde et le seul en Europe à avoir distingué dans ses filières de formation médicale la gynécologie-obstétrique de la gynécologie dite médicale c'est à dire ne réalisant pas d'actes chirurgicaux ou obstétricaux. Enseignée sous la forme d'un Certificat d'Etudes Spéciales depuis les années 60, elle a disparu des filières lors de la réforme de l'internat en 1986. Sous la pression des gynécologues médicales, installées pour la quasi totalité d'entre elles en secteur libéral, la spécialité a réintégré en 2003 la liste des différentes spécialités d'internat avec un Diplôme d'Etudes Spécialisées (DES) à part entière d'une durée de 4 ans, à côté du DES de gynécologie obstétrique. Bien évidemment les internes en gynécologie médicale reçoivent un enseignement d'obstétrique, ceux inscrits en gynécologie obstétrique bénéficiant d'une formation en gynécologie médicale.
La Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale alerte donc l'opinion sur la diminution prévisible de ses effectifs et regrette qu'un nombre trop réduit de postes d'internes soient ouverts dans leur discipline.
Sans vouloir minimiser les services rendus à la population féminine (contraception, dépistage, ménopause, fertilité), on peut toutefois s'interroger sur le caractère prioritaire de cette spécialité dans la gestion d'effectifs médicaux globaux en forte réduction dans les 20 ans à venir; c'est ainsi que d'autres spécialités "plus lourdes" comme la chirurgie viscérale, l'obstétrique voire l'orthopédie, pour ne parler que de la chirurgie, risquent d'être confrontées à des difficultés démographiques aiguës aggravées par une répartition territoriale inadaptée. Faut-il dans ce contexte augmenter le nombre de postes en gynécologie médicale au détriment mécanique d'autres spécialités qui, de par leurs fortes contraintes, attirent moins une population d'internes, fémininisée à plus de 60% ? On peut remarquer en outre qu'une grande partie des services rendus par les gynécologues médicales peuvent être réalisés par des praticiens généralistes ...qui sont de plus en plus souvent des femmes, et que, par ailleurs, les campagnes de dépistage notamment des cancers du sein réduisent la nécessité d'une consultation spécialisée systématique.
Au total, soyons raisonnables et essayons ensemble de ne pas rendre encore plus complexe la difficile adaptation de notre système de soins à la contrainte d'une double raréfaction, celle des professionnels de santé et celles des ressources collectives.

mardi 11 novembre 2008

Qualité réelle et qualité perçue vont-elles de pair en matière de soins hospitaliers ?

Le NEJM (*) publie dans son numéro du 30 octobre dernier un article qui traite d'un sujet très débattu dans le milieu hospitalier à savoir la relation entre la qualité réelle des soins et la qualité effectivement perçue par le patient. Les auteurs ont croisé les informations issues d'une part des enquêtes nationales de satisfaction aux USA comme l'HCAHPS (Hospital Consumer Assessment of Healthcare Providers and Systems) développé par l'AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality) et celles provenant du programme promu depuis 2002 par l'HQA (Hospital Quality Alliance) qui collige les paramètres qualité issus des hôpitaux américains et les publie sous la forme de rapports trimestriels qui sont à la base des comparaisons interhospitalières.
L'étude a consisté à comparer la performance hospitalière telle qu'elle est ressentie par les patients et le niveau des indicateurs exprimant de manière objective la qualité des soins. Globalement, le taux de satisfaction des patients, exprimé par exemple par leur souhait de recommander à d'autres l'établissement dans lequel ils viennent d'être hospitalisés, se situe à un niveau relativement moyen de 67,4% avec toutefois de grandes variations inter et intrarégionales.
Ce taux est plus faible dans les hôpitaux ou le nombre d'infirmières présentes par patient et par jour est le plus réduit. De façon plus générale, le degré de satisfaction des patients va dans le même sens que la performance qualité de l'établissement, les hôpitaux les plus mal classés dans l'enquête qualité nationale de l'HQA étant ceux dont les patients sont les moins satisfaits. Par ailleurs, les auteurs ont trouvé des taux de satisfaction sensiblement plus élevés chez les patients hospitalisés dans des hôpitaux publics ou privés à but non lucratif que chez ceux pris en charge dans des établissements privés commerciaux, respectivement 65 et 59%.
Même si l'on peut critiquer la fiabilité des enquêtes portant sur la satisfaction des patients, compte tenu de l'impact des vécus individuels, leur réalisation à grande échelle lisse ces variations bien que dans le cas présent seuls 40% des hôpitaux aient fait participer leurs patients à cette démarche.
Ces résultats semblent démontrer qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre qualité des soins et qualité de la relation, bien au contraire. Au total, être bien soigné et avoir le sentiment de l'être sont des éléments qui semblent aller de pair, ce qui est une bonne nouvelle pour l'ensemble des soignants qui se trouvent ainsi encouragés à ne pas négliger la qualité relationnelle à l'argument d'une haute technicité ou à privilégier la compassion faute d'une performance professionnelle suffisante.

(*) NEJM : New England Journal of Medicine

lundi 10 novembre 2008

Etre une femme coûte plus cher ...pour s'assurer

Pourquoi les femmes américaines paient plus cher que les hommes pour leur assurance santé ? La commission des finances du congrès ainsi que plusieurs associations comme le National Women's Law Center s'interrogent sur les raisons des discriminations qui pénalisent les femmes quand elles souscrivent une assurance santé privée. En effet, de nombreux exemples montrent que ces majorations sont de l'ordre de 30% et peuvent dans certains cas atteindre 50% ce qui correspond à plusieurs centaines de dollars par an !
Les assureurs invoquent plusieurs raisons comme le fait que les femmes de 19 à 55 ans consomment plus de biens médicaux que les hommes notamment pendant les périodes de grossesse. Toutefois, on peut remarquer que les femmes paient plus cher que les hommes des assurances santé qui ne couvrent pas le "risque" maternité, cette éventualité faisant habituellement l'objet d'un contrat particulier. D'ailleurs, certaines jeunes américaines retardent l'âge de leur première grossesse dans l'attente d'avoir des revenus suffisants pour leur permettre de souscrire une assurance couvrant la maternité.
De façon plus générale, les assureurs considèrent que les femmes sont plus soucieuses que les hommes de leur état de santé, ce qui est vrai. Par voie de conséquence, cette préoccupation plus marquée chez les femmes entraîne un plus grand nombre de consultations médicales et une plus grande consommation de médicaments et d'examens biologiques ou radiologiques. En outre, les assureurs privés font remarquer que la plupart des systèmes assurantiels d'état utilisent eux aussi le sexe comme élément de calcul des primes, même si certains états comme le Maine, l'état de New-York et le Montana ont interdit la prise en compte du sexe des assurés dans le calcul des primes d'assurance santé, à l'argument central que si la maternité entraîne une consommation médicale accrue elle bénéficie par ailleurs à l'évidence à l'ensemble du système social.
Au total, le système privé américain des assurances santé est un secteur économiquement et éthiquement très instable, comportant de multiples lacunes, notamment en raison du refus d'assurer un grand nombre d'individus à l'argument d'antécédents médicaux divers. Les risques qui pèsent aujourd'hui sur les assurances santé procurées par les employeurs à leurs salariés, base du système de protection sociale aux USA, augmentent la nécessité pour beaucoup de recourir à des contrats privés de prévoyance qui sont bien loin de procurer une couverture complète et égalitaire. Il faudra beaucoup de détermination et de courage au nouveau président des Etats-Unis pour remettre de l'ordre et de la justice dans un système manifestement à bout de souffle.

vendredi 7 novembre 2008

La qualité des soins dépend elle de leur quantité ?

Il est habituel d'opposer quantité et qualité, mais il semble qu'en matière de soins ces deux grandeurs aillent de pair. Dans le numéro 135 de son périodique Question d'Economie de la Santé, l'IRDES (*) publie une étude consacrée à l'influence du volume d'activité sur la qualité des soins. Cette revue de la littérature publiée sur le sujet au cours des 10 dernières années a été commandée à l'IRDES par l'HAS (**) en 2007 dans le but de fournir des données de référence à l'orée d'une nouvelle phase de réorganisation de l'offre de soins hospitaliers.
Il ressort des 175 études consacrées à ce sujet que, globalement, plus le volume d'activité est important meilleure est la qualité des soins. Les auteurs avouent cependant que l'analyse est difficile compte tenu de la très grande hétérogénéité des méthodes d'étude et des indicateurs choisis pour apprécier la performance soignante finale. Toutefois, malgré ces réserves, il semble bien que, tout au moins pour les actes complexes pour l'essentiel chirurgicaux, une concentration des patients relevant de ces procédures thérapeutiques s'accompagne d'une nette amélioration de la qualité de prise en charge.
Pour ce qui est de la cancérologie, la très grande majorité des études publiées (90%) confirme un lien positif entre volume d'activité et qualité, sauf semble-t-il pour les interventions concernant les cancers colo-rectaux.
Deux phénomènes peuvent expliquer cette tendance lourde : soit la quantité induit la qualité par un effet d'apprentissage favorisé par la répétition fréquente des mêmes procédures, soit la qualité reconnue d'une équipe entraîne un adressage préférentiel qui augmente son niveau d'activité. L'hypothèse d'un mélange des deux est tout à fait plausible, ce qui est probablement le cas pour ce qui est de la chirurgie cancérologique où l'acte technique proprement dit est en fait inséré dans une prise en charge pluridisciplinaire globale qui fait la renommée des établissements spécialisés. Quoiqu'il en soit, l'INCa (***) a publié en juin 2008 des seuils d'activité minimaux pour qu'un établissement hospitalier puisse bénéficier d'une autorisation de traitement des cancers dans chacune des disciplines majeures, chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie.
Même si les procédures comportant des seuils génèrent inévitablement des effets pervers, il s'agit-là de la première initiative visant à réorganiser profondément l'offre de soins avec le souci évident d'améliorer la qualité de prise en charge des patients. Par ailleurs, l'optimisation nécessaire du maillage hospitalier et les inquiétudes que l'on peut former pour la démographie médicale dans un proche avenir, constituent des facteurs puissants pour que de telles dispositions soient étendues à d'autres pathologies. Le suivi de la mise en oeuvre des seuils d'activité en cancérologie et de leurs conséquences sanitaires devrait être riche d'enseignements pour le débat national que constitue aujourd'hui le futur de notre système de soins.

(*) IRDES : Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé.
(**) HAS : Haute Autorité de Santé
(***) INCa : Institut National du Cancer

jeudi 6 novembre 2008

L'IRM au pied d'argile !

Dans le New-York Times du 13 octobre dernier, une des journalistes de ce prestigieux journal fait part de son expérience personnelle au sujet de ce qu'elle considère comme étant le signe d'un manque de fiabilité des examens d'imagerie médicale, en l'occurrence de l'IRM. Manifestement adepte de la course à pied de grand fond, elle raconte la survenue brutale d'une douleur du pied qui l'empêche de poursuivre son effort. Elle fait l'objet d'une IRM qui ne montre aucune anomalie, mais la persistance de la douleur sous traitement anti-inflammatoire et antalgique la pousse à solliciter un deuxième avis auprès d'un chirurgien orthopédiste qui prescrit une deuxième IRM qui montre alors une fracture de fatigue (*) au niveau d'un métatarsien.
Le retour au bureau de la journaliste munie de béquilles provoque le récit d'un de ses collègues victime d'un traumatisme lors d'un match de football (américain !) et dont les lésions vertébrales cervicales n'ont été mises en évidence qu'un an plus tard après la réalisation de plusieurs IRM.
Il s'en suit un débat sur la fiabilité des examens IRM, sur la performance évolutive des appareillages et surtout sur la compétence des radiologues amenés à interpréter les images produites. Globalement, il ressort de l'article que, bien entendu, il existe des différences dans la précision diagnostique des examens d'imagerie qui dépendent de la question posée, de la performance du matériel utilisé, de la procédure suivie et bien sûr de la qualité d'interprétation du radiologue. Sur ce dernier point, un des experts interrogés, exerçant dans une grande institution du Massachussets, indique que l'exploration par IRM d'un organe donné doit être effectué par un radiologue spécialisé dans l'examen IRM de cet organe et de ses pathologies ! Voila que naît une nouvelle sous-spécialité croisement entre une technique particulière et un organe cible. On peut douter du réalisme d'une telle approche à l'échelle de l'offre de soins générale, même si elle est concevable au sein d'une grande institution.
Par ailleurs, les auto-observations schématiques rapportées et les commentaires qui les accompagnent invitent à un certain nombre de précisions ; tout d'abord l'IRM n'est pas l'examen de première intention en cas de suspicion de fracture osseuse, même s'il est possible qu'être journaliste au NYT permette d'accéder d'emblée à ce type d'examen... D'autre part, les fractures dites de fatigue n'entraînent d'anomalies radiologiques perceptibles qu'après quelques semaines, les examens initiaux pouvant être normaux. Enfin, l'IRM est beaucoup plus performante pour l'exploration des parties molles (ligaments, muscles, moelle osseuse,...) que pour l'examen de l'os proprement dit pour lequel les radiographies standards, le scanner et si besoin la scintigraphie osseuse sont habituels. Toutefois, l'IRM constitue dans le cadre d'une fracture de fatigue probable un excellent examen complémentaire quand le diagnostic n'a pu être établi par les examens précédents.
Il est donc tout à fait possible que l'émotion des journalistes concernés par ces parcours médicaux considérés comme anormaux soit en grande partie la conséquence d'une entrée inappropriée dans la démarche diagnostique, inadaptation à laquelle ils ont peut-être contribué eux-mêmes...
Il faut rappeler que la démarche diagnostique procède d'un cheminement logique dans lequel les symptômes tiennent toujours une place prépondérante; leur persistance étant un élément informatif beaucoup plus pertinent que la négativité ou plutôt la non-positivité d'un examen complémentaire quelque soit sa sophistication.
Même si la disponibilité d'explorations modernes et performantes constitue un élément majeur du progrès médical, il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit-là que d'auxiliaires diagnostiques qui par ailleurs comportent tous des seuils de détection et des limites d'interprétation qui font de leurs résultats des "certitudes" toutes relatives. Un examen sans anomalie décelable est toujours mieux qu'avec la présence d'une lésion visible, mais cela ne signifie pas pour autant que l'on peut être sûr qu'il n'existe aucune pathologie dans la zone explorée.

(*) Fracture de fatigue ou de stress : type particulier de fracture osseuse, habituellement incomplète, provoquée par un traumatisme répété ou inhabituel conduisant à la survenue d'une sorte de fissure osseuse. Elle est particulièrement fréquente chez les sportifs et survient préférentiellement au niveau des os porteurs comme le tibia, le péroné, le calcanéum ou les métatarsiens.

mardi 4 novembre 2008

La TEP est-elle un examen universel en cancérologie ?

Un article (*) paru en juillet dernier dans le Journal of Nuclear Medicine analyse la performance de l'exploration par tomographie en émission de positons (TEP) (**) lors de l'évaluation initiale d'un cancer du sein. Présentée par cette équipe allemande d'Essen comme un examen "tout-en-un", la TEP utilisant du désoxyfluoroglucose marqué au fluor 18 (FDG) est effectivement capable d'explorer le cancer du sein lui-même, les aires ganglionnaires adjacentes (axillaires et susclaviculaires) et l'ensemble des organes à la recherche d'éventuelles métastases viscérales synchrones du diagnostic de la lésion mammaire initiale.
La TEP apparaît plus performante que l'IRM dans l'étude de la tumeur mammaire, plus précise que l'examen clinique couplée à l'échographie pour explorer l'aisselle, et enfin plus déterminante que les diverses explorations (échographie, scintigraphie, scanner,...) pour ce qui est de la recherche de métastases à distance. Au total, les auteurs de cet article pensent que la TEP devrait dans l'avenir prendre une place grandissante dans l'évaluation initiale des cancers du sein.
Dont acte ! Toutefois, il n'est pas habituel d'explorer en première intention une tumeur du sein par IRM mais plutôt par l'examen clinique, la mammographie et in fine par l'analyse anatomopathologique de la pièce opératoire. Pour ce qui est des ganglions axillaires, c'est leur envahissement microscopique éventuel qui est décisif, seule l'analyse anatomopathologique des formations prélevées lors de la chirurgie initiale étant capable de le mettre en évidence. Enfin, pour ce qui est de la recherche de localisations métastatiques, on rappelle que moins de 5% des cancers du sein se présentent initialement avec une extension à distance synchrone.
Au total, rien ne vient étayer réellement la pertinence clinique de l'utilisation de la TEP dans l'évaluation initiale d'un cancer du sein en place, même si on peut retenir son intérêt en cas d'évolution métastatique ultérieure avérée. C'est en forçant ainsi les indications d'examens par ailleurs utiles que l'on en dévoie la pertinence globale, tout en aggravant notablement les coûts d'exploration sans pour autant améliorer réellement la performance de la prise en charge des patients.

(*) Heusner TA, Kuemmel S, Umutlu L, et al. Breast Cancer Staging in a Single Session: Whole-Body PET/CT Mammography. J Nucl Med 2008 Jul 16.
(**) TEP : La tomographie en émission de positons (ou positrons) (***) est une méthode d'imagerie médicale enregistrant l'émission produite par la désintégration d'un produit radioactif injecté dans l'organisme et émettant lors de sa désintégration des positons. Le principe est celui de la scintigraphie, l'image obtenue traduisant l'activité métabolique du tissu exploré quand le traceur radioactif est par exemple du glucose marqué au fluor 18. Il est ainsi possible de distinguer les tissus à forte activité métabolique, suspects d'être tumoraux, des tissus normaux dont la captation de glucose est moindre. La TEP peut être couplée dans le même appareillage à un scanner permettant de topographier de façon précise la zone d'hyperfixation du traceur radioactif.
(***) Positon ou positron : électron de charge positive. Une fois produit, il s'annihile lors de sa rencontre avec un électron (charge négative) rencontré inévitablement dans la matière traversée et émet deux photons qui sont ensuite captés par le collimateur de l'appareil pour former une image.

lundi 3 novembre 2008

La réforme du système de santé US vue par les démocrates et les républicains

Après l'économie, la réforme du système de santé tient une place importante dans la campagne présidentielle américaine sur le point de s'achever. Chaque candidat a proposé un certain nombre de pistes dont on est obligé de constater qu'elles ne sont pas toujours très claires ni très abouties, tout en laissant apparaître de profondes divergences entre les programmes démocrate et républicain sur ce thème. Il est possible de consulter un tableau comparatif synthétique sur le site de l'ONG The Commonwealth Fund.
Le programme de Mac Cain comporte une réduction forte de la fiscalité qui risque de diminuer les prestations issues des assurances santé à la charge des employeurs dont on sait qu'il s'agit du système habituel aux USA pour les salariés ; de ce fait, le recours aux assurances privées risque d'augmenter avec un nombre important de dossiers rejetés à l'argument de l'existence d'antécédents médicaux. Obama propose lui d'étendre la couverture santé aux 45 millions d'américains qui aujourd'hui en sont dépourvus sous l'autorité d'une agence fédérale chargée d'organiser le recours aux assurances qu'elles soient privées ou publiques en créant d'ailleurs un programme public d'assurance venant concurrencer le secteur privé. Si ce système paraît plus adapté à l'objectif poursuivi il reste probablement insuffisant pour permettre à tous les américains de bénéficier de soins longs et/ou coûteux.
Les experts estiment que le plan Mac Cain coûtera au gouvernement fédéral entre 1300 et 2000 milliards de dollars sur 10 ans, celui d'Obama entre 1170 et 1600 milliards. Il faut noter qu'aucun des deux candidats n'a clairement indiqué comment son plan serait financé, le démocrate attendant les effets de la suppression des avantages fiscaux décidés par l'administration Bush, le républicain comptant sur des mesures d'économies et sur l'effet "bénéfique" de la concurrence dans un marché sanitaire libre, ce qui reste largement hypothétique ne serait-ce qu'au regard de l'évolution délétère récente du marche financier dérégulé.
Au total, la majorité des experts US penchent en faveur du plan démocrate qui se trouve conjoncturellement renforcé par les inquiétudes actuelles sur l'emploi et le niveau de vie des américains comme d'autres d'ailleurs...
Quoiqu'il en soit, une réforme profonde du système de santé américain paraît indispensable au regard de l'état actuel des grands indicateurs qui associent 45 millions de non assurés, une croissance des coûts des soins et des assurances supérieure à celle du PIB, l'impossibilité de garder son assurance santé lors d'un changement d'entreprise, les difficultés à trouver une assurance privée correcte et abordable et enfin le mauvais classement international de la qualité des soins aux USA, souvent loin derrière les pays industrialisés notamment européens.
A suivre...après le 4 novembre !

vendredi 31 octobre 2008

Consultation d'annonce : qu'en retient le patient ?

Il est habituel de considérer que lors d'une consultation au cours de laquelle une mauvaise nouvelle est annoncée, les informations données ne sont que partiellemment perçues et mémorisées par le patient concerné. Cette constatation est à la base des techniques relationnelles mises en oeuvre dans ce qu'il est convenu d'appeler le processus d'annonce formalisé dans le cadre du plan cancer français en cours de mise en oeuvre et récemment élargi à l'ensemble des pathologies graves dans une publication de l'HAS .
Dans le numéro de novembre du Journal of Clinical Oncology des équipes hollandaises et australiennes ont tenté de mesurer ce phénomène et d'en étudier les éventuels facteurs de variabilité, en interrogeant les patients par téléphone quelque temps après la consultation et en comparant les réponses obtenues avec le contenu enregistré de la consultation. Il apparaît ainsi que moins de la moitié des informations données lors de la consultation sont effectivement mémorisées par le patient et que paradoxalement, plus la gravité de ce qui est annoncé est importante moins le niveau de mémorisation est élevé. Par ailleurs, si l'âge n'est pas globalement un facteur discriminant, les patients de plus de 65 ans ont une mémorisation qui se dégrade quand la consultation a été longue et le nombre d'informations important.Cette étude montre par ailleurs que plus les patients posent de questions moins ils se rappellent du contenu des informations qui leur ont été données, comme s'ils n'avaient écouté que très partiellement les réponses.L'ensemble de ces données est cohérent avec ce que l'on sait de la mise en place des mécanismes de défense face à un événement fortement traumatique et anxiogène, l'intérêt de cette étude étant d'en évaluer quantitativement l'impact.
De façon pratique, on sait bien que s'il n'existe pas de "bonne" façon de donner de mauvaises nouvelles, il est toutefois possible d'en atténuer la traumatisme sans pour autant en dissimuler la réalité. La conversation face à face dans un lieu calme et intime, l'usage de mots simples et clairs, volontiers répétés au cours de la consultation, la présence d'un tiers de confiance, la disponibilité d'éléments explicatifs écrits, le relais informatif complémentaire par un autre soignant, sont des moyens souvent utiles. En outre, la répétition de ces moments d'échanges est probablement l'élément le plus important pour accompagner le patient dans son cheminement plus ou moins difficile et erratique vers la réalité de sa situation dont la perception effective subira de multiples fluctuations au fil des événements qui vont émailler son parcours médical.
Dans tous les cas, la disponibilité et l'écoute des soignants sont indispensables même si elles ne sont pas toujours pleinement effectives le plus souvent par évitement de l'inconfort certain que génèrent ces situations plutôt qu'en raison de contraintes éventuelles d'emploi du temps...

jeudi 30 octobre 2008

Les bulletins de santé des candidats jugés lacunaires

A la une du New York Times du 19 octobre, le docteur Lawrence K. Altman revient longuement sur ce qu'il appelle les nombreux "trous" qui persistent dans les bulletins de santé des candidats à la présidence. On peut s'étonner du retour de cette polémique à 15 jours du scrutin, mais manifestement, les américains sont attachés à avoir une connaissance "complète" de l'état de santé de leurs futurs président et vice-président et ce d'autant plus que deux des candidats ont présenté des pathologies susceptibles de comporter un pronostic vital défavorable en l'occurrence un mélanome malin pour Mac Cain en 2000 et un anévrysme artériel cérébral opéré en 1988 pour Joe Biden.
Au passage, on apprend que Barack Obama semble avoir eu beaucoup de difficulté pour stopper en 2007 un tabagisme dont il n'est pas précisé l'importance et que par ailleurs Sarah Palin n'a publié aucune information sur son état de santé.
L'essentiel du débat porte bien entendu sur l'état de santé de John Mac Cain, indépendamment des séquelles des traumatismes qu'il a subit pendant la guerre du Vietnam. En fait, c'est le mélanome de la tempe gauche, opéré en 2000, qui fait débat (voir dans ce blog Un mélanome dans la compagne électorale). L'article du NYT retranscrit le compte-rendu de l'examen anatomopathologique réalisé à l'Institut de Pathologie des Forces Armées à Washington qui semble plus en faveur d'une récidive régionale dans la cicatrice d'un mélanome précédemment enlevé que d'une nouvelle tumeur primitive ; cette lésion pourrait être satellite d'un autre mélanome malin enlevé dans le même temps au niveau de la tempe gauche ou d'une lésion, également de la tempe gauche, enlevée en 1996 et alors décrite comme bénigne.
Quoiqu'il en soit, les éléments en la possession des journalistes américains et scrupuleusement publiés ne permettent pas de trancher; il est toutefois évident que la situation cancérologique est toute différente entre un nouveau mélanome malin primitif de stade IIA comme cela a été précédemment dit et la récidive régionale sous la forme d'une lésion évoquant un "nodule en transit"(*) secondaire à un mélanome temporal simultané ou précédemment traité en 1996. Dans ce second cas, les risques de survenue d'une évolution métastatique sont substantiels avec un taux de survie sans maladie évolutive de l'ordre de 30 à 40%, bien que l'absence de fait nouveau, 8 ans après le traitement, soit un élément favorable.
D'aucuns considèrent que tout fait nouveau en rapport avec cet antécédent cancérologique serait susceptible de nécessiter des traitements pouvant mettre en jeu le 25 ième amendement de la constitution américaine, c'est à dire le remplacement du président par le vice-président, ou plus exactement la vice-présidente en l'occurrence.
Le même article développe les risques liés au tabagisme de Barack Obama et le fait que Joe Biden n'ait pas fait l'objet d'une vérification neuroradiologique récente de l'état de son cerveau, même 20 ans après son accident hémorragique.
Si le docteur Altman constate, et regrette, une régression dans le niveau d'information sur l'état de santé des candidats par rapport aux précédentes campagnes électorales américaines, on ne perçoit toujours pas bien en quoi ces informations, complètes ou incomplètes, ont une pertinence politique pour l'avenir hormis leur impact électoral immédiat éventuel.
(*) nodule en transit : formation nodulaire, palpable et parfois visible, enchâssée dans l'épaisseur de la peau traduisant l'extension et le développement dans les voies lymphatiques de drainage de cellules tumorales issues d'une tumeur primitive souvent elle-même cutanée (carcinome cutané, mélanome malin).