samedi 13 septembre 2008

Du rififi dans la prostate

Dans son numéro du 15 septembre 2008, le "Red Journal" (*) fait place à une vive controverse déclenchée par deux médecins, Soren Bentzen (Madison, Wisconsin) et Todd Wasserman (Delray Beach, Florida), qui s’insurgent contre la démarche publicitaire du constructeur Accuray en faveur de l’utilisation de son produit phare, le Cyberknife (accélérateur linéaire miniaturisé et robotisé), dans le traitement du cancer de la prostate.
Les auteurs de cette lettre à l'éditeur rappellent que l’introduction d’une nouvelle technique associée en l’occurrence à une nouvelle posologie de l’irradiation (une à 5 séances) doit être fondée sur une démarche de recherche clinique représentée au mieux par un essai comparatif randomisé de phase III. Ils reprochent vertement à la société Accuray d’affirmer que le traitement d’un cancer de la prostate en utilisant le Cyberknife « n’entraîne que peu ou pas d’effets secondaires…», alors qu’à leur connaissance il n’existe pas de preuve scientifique avérée venant supporter ces affirmations considérées comme des déclarations commerciales, qu’aucun essai comparatif n’a été mené encore jusqu'à son terme et, qu’en toute hypothèse, le recul d’utilisation du Cyberknife dans cette indication est trop court pour affirmer quoi que se soit.
Dans la réponse d'Omar Dawood au nom de la société Accuray Incorporated (Sunnyvale, CA, USA) parue dans le même numéro, la lettre de Bentsen et Wasserman est considérée comme « vitriolic and intemperate » ; au-delà de cette appréciation générale, il y est développé des arguments en faveur de l'utilisation de cet appareillage dans cette indication particulière et notamment ceux qui montrent que des traitements très focalisés peuvent être administrés en un petit nombre de séances y compris pour le traitement des cancers de la prostate.
Ce débat, manifestement vif, est un exemple démonstratif de la difficulté dans laquelle se trouve aujourd'hui la médecine en général et la cancérologie en particulier face à l'innovation, réelle ou supposée. Dans le cas particulier de la radiothérapie, l'innovation technique est essentiellement à l'initiative des sociétés industrielles et commerciales, même si les éléments fondamentaux des matériels qu'ils proposent sont souvent issus de la recherche universitaire ou "académique" comme on dit aux USA. La pression du marketing développé naturellement par ces sociétés s'exerce sur les praticiens mais aussi sur les décideurs financiers et parfois le public, ce qui peut rendre inconfortable l'attente des résultats définitifs des essais cliniques. En l'occurrence, les résultats d'un essai comparatif de traitement d'un cancer localisé de la prostate par irradiation selon deux techniques différentes, ne peuvent être raisonnablement exploités qu'au moins 10 ans après le début de l'étude.
La tentation est alors forte d'anticiper de ces résultats et de mettre en route de nouvelles techniques avant qu'elles aient apporté la preuve irréfutable de leur intérêt. Par ailleurs, la possession d'une "grosse machine innovante" participe de l'image du service, de l'hôpital ou du cabinet dans lequel elle est installée, ce qui est éventuellement de nature à faciliter grandement le travail commercial des industriels.
On ne peut que se féliciter de la décision du comité éditorial du Red Journal de publier cette controverse qui devrait avoir pour vertu de faire réfléchir plus avant tous ceux qui ont du mal à supporter de ne pas disposer dans les plus brefs délais des matériels et des techniques les plus récemment mis sur le marché, sans attendre parfois que la réalité de leur pertinence, de leur efficacité voire de leur sûreté, soit solidement avérée. Par ailleurs, au-delà de la question de leur propre pertinence médicale, ces matériels nouveaux emportent avec eux des procédures, notamment informatiques, qui changent profondément leur prise en main par les personnels; un certain nombre des incidents survenus récemment dans le champ de la radiothérapie repose au moins pour partie sur ces modifications rapides de l'environnement des appareils de traitement.
S'il est bien entendu tout à fait compréhensible que les soignants souhaitent apporter le plus rapidement possible à leurs patients le bénéfice escompté des avancées les plus récentes, il est toutefois nécessaire qu'ils prennent la mesure de la nécessité impérieuse des industriels de voir leurs investissements initiaux déboucher sur une réalité commerciale positive. Cette situation n'est bien entendu pas nouvelle en médecine, mais la place considérable que prend aujourd'hui et prendra demain l'innovation technologique la rend de plus en plus critique et délicate.
(*) Journal of Radiation Oncology Biology and Physics, organe officile de l'American Society of Radiation Oncology (ASTRO).

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