Dans une récente enquête d'opinion (IFOP, Ligue contre le cancer, octobre 2008), les français ont déclaré que c'était dans les chercheurs qu'ils faisaient le plus confiance pour améliorer la prise en charge des patients porteurs de cancer. Cette confiance régulièrement renouvelée dans les mérites de l'innovation est a priori une excellente chose dans la mesure où elle soutient en grande partie l'effort de générosité que consent le public pour la recherche en général et la recherche cancérologique en particulier, venant ainsi compléter le soutien financier étatique qui reste globalement insuffisant.
Toutefois, cette "foi" quasi inébranlable du public dans les bienfaits de l'innovation doit être quelque peu tempérée dans les faits. En effet, pour qu'une innovation médicamenteuse ou technologique ne reste pas confidentielle et qu'elle puisse bénéficier au plus grand nombre, elle doit à un moment ou à un autre rencontrer une stratégie industrielle qui fait, elle, le pari d'un bénéfice commercial suffisant pour au moins compenser les risques financiers pris lors des étapes préalables à la mise sur le marché. De ce fait, le travail des chercheurs, notamment de ceux qui oeuvrent dans des institutions publiques et qui sont à l'origine de l'essentiel des avancées fondamentales, ne trouvera d'application humaine que si l'équation économique est résolue, ou susceptible de l'être, par l'industrie.
Si les nouveaux médicaments font l'objet de démarches multiples d'évaluation et d'approbation avant d'être largement diffusés, les innovations technologiques n'obéissent pas aux mêmes règles et font pour l'essentiel l'objet de contrôles visant à vérifier leur absence de dangerosité pour l'homme à partir de séries de patients relativement courtes, en tout cas beaucoup moins importantes que pour une nouvelle molécule. Il est en effet très difficile de concevoir des démarches comparatives, comme celles qui sont habituelles pour les médicaments, entre l'utilisation de deux techniques ou technologies médicales dont les caractéristiques sont le plus souvent trop différentes pour que la comparaison ne soit pas biaisée. De ce fait, un certain nombre de technologies médicales innovantes, ou réputées telles, font leur entrée sur le marché du matériel médical sans que l'on soit tout à fait sûr qu'elles apportent un avantage substantiel par rapport à l'éventail des appareils déjà disponibles.
Ce sujet est actuellement à l'origine d'une vive controverse au sein de la FDA (*) pour savoir si les nouveaux appareillages doivent faire l'objet d'une évaluation préalable aussi longue et rigoureuse que les médicaments ou s'ils peuvent bénéficier de la procédure dite "fast track" qui, comme son nom l'indique, a pour but d'accélérer l'essor des innovations techniques en simplifiant leur évaluation préalable. En France, la HAS (**) a initié une démarche spécifique confiée à sa Commission d'évaluation des produits et prestations qui fait elle-même partie d'un réseau européen baptisé European Network for Health Technology Assessment (EuNetHTA). Dans tous les cas, les décisions sont essentiellement fondées sur une revue de la littérature publiée et sur des avis d'experts.
Il existe en fait de nombreux exemples de nouveaux matériels ou de "modernisations" de matériels existants dont l'utilisation humaine n'a jamais fait l'objet au préalable d'une étude mesurant réellement la performance supplémentaire apportée. Chaque fois, un marketing habile, l'attrait de la nouveauté, la peur pour certains de ne pas disposer des matériels les plus récents, l'influence d'experts parfois proches des industriels, ont eu raison de la prudence que l'on serait en droit d'attendre en la matière. Dans la plupart des cas, ces innovations techniques ont toutefois très vraisemblablement profité au patient mais le plus souvent au prix d'un coût élevé d'investissement et de fonctionnement, le triomphe de l'informatique ayant eu en outre pour effet de raccourcir fortement la durée de vie des matériels. Dans certains autres cas, l'avantage clinique n'est pas manifeste mais il n'existe pas de possibilité de "marche arrière" dans un processus devenu dépendant de la stratégie des constructeurs. Il paraît ainsi tout à fait indispensable de garder une maîtrise raisonnée sur cette évolution pour éviter que les médecins et leurs patients deviennent captifs d'innovations décidées par d'autres.
(*) FDA : Food & Drug Administration, USA
(**) HAS : Haute Autorité de Santé
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