Le journal économique La Tribune a eu récemment accès à un projet de décret visant à encadrer les dépassements d'honoraires des médecins dont on sait qu'ils sont en forte augmentation et ont atteint 2 milliards d'euros en 2005 selon un rapport de l'IGAS .
Cette tendance est susceptible de remettre en cause le principe fondamental de l'égalité d'accès aux soins médicaux en France. Les dépassements d'honoraires constituent en fait un transfert de charges déguisé dans la mesure où ils font payer au patient, qui a déjà supporté le poids de ses cotisations sociales, ce que, à tort ou à raison, l'assurance collective et l'Etat ne souhaitent pas honorer, tout en laissant aux praticiens eux-mêmes la liberté d'en décider.
Le texte en projet prévoirait des pénalités lors de dépassements "exagérés" c'est à dire, selon la formule consacrée, ayant échappé au "tact et à la mesure" auxquels chaque médecin est tenu de se conformer par son code de déontologie. Le flou de cette recommandation éthique inciterait les pouvoirs publics à en préciser les contours en retenant semble-t-il 5 critères dont le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils suscitent débat.
Ainsi, l'état de fortune du patient pourrait justifier ou non un dépassement; pourquoi pas, mais comment le médecin apprécie-t-il les revenus et le patrimoine de son patient si ce n'est de façon parfaitement subjective au vu de la profession, de l'habillement, de la voiture garée dans le parking,... ? Faut-il consulter avec des vêtements usagés, sans montre de prix et sans bijoux, pour échapper au dépassement ?
La notoriété du praticien constituerait le deuxième critère. Qui en décide et qui en fixe le niveau ? Pendant longtemps, les titres universitaires ou hospitaliers étaient considérés comme un gage de notoriété : "ancien chef de clinique, médecin attaché des hôpitaux, etc... " Est-ce qu'aujourd'hui une présence répétée sur les plateaux de télévision est un élément de nature à justifier des honoraires élevés ?
Ensuite, le décret retiendrait le service rendu au patient, ce qui est une notion pour le moins ambiguë dont la réalité peut être toute différence selon que l'on se place du côté du patient ou du médecin. Pour ce qui est de la complexité de l'acte, susceptible de permettre une majoration d'honoraires, on rappelle qu'elle est déjà prise en compte par l'assurance maladie dans le tarif opposable des prestations.
Enfin, le décret retiendrait comme critère pour juger du caractère excessif ou non du dépassement "les tarifs habituels des praticiens installés à proximité". Voilà qu'apparaît la notion de zone de "chalandise médicale" au sein de laquelle les praticiens pourraient fixer leur niveau de rémunération en fonction de celle de leurs confrères proches. On peut raisonnablement craindre une surenchère collective et par ailleurs déplorer que se constituent ainsi des "ghettos" tarifaires venant encore dégrader la nécessaire mixité sociale.
Il est ainsi facile de comprendre que, comme l'indique La Tribune, le Conseil de l'Assurance Maladie a majoritairement voté contre ce projet de décret à l'argument de son inapplicabilité en l'état. Faut-il rappeler que le "marché" de la santé est un marché captif largement solvabilisé par les cotisations sociales et dans une moindre mesure par l'impôt; de ce fait lui appliquer des schémas concurrentiels dans lesquels les fournisseurs de soins peuvent fixer librement leurs tarifs, ont la permission de s'entendre entre eux pour en déterminer le niveau sans qu'à aucun moment le "client" ait la réelle possibilité de faire jouer une réelle concurrence, constitue un système pervers qui, s'il perdure ou s'aggrave, risque de saper la confiance qu'ont jusqu'ici les français dans leur système de santé. D'ores et déjà beaucoup d'entre eux pensent que l'on est mieux soigné quand on a de l'argent, ce qui heureusement n'est pas encore globalement vrai. Attention à ce que cela ne le devienne pas vraiment!
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