L'avant-projet de loi intitulé "Patients, santé et territoires", en cours de finalisation avant sa discussion à l'assemblée nationale dans quelques semaines, comporte un certain nombre d'orientations fortes qui concernent notamment l'organisation des soins. A ce titre, le projet de loi propose "de définir une organisation du système de santé basée, non pas sur l'offre, mais sur les besoins de santé de la population", perspective à laquelle on ne peut que souscrire.
Les choses se compliquent quelque peu au paragraphe suivant où l'on peut lire que "les différents types de besoins définissent des niveaux de recours pertinents pour repenser l'organisation de notre système de santé en cohérence avec l'hôpital". En effet, la notion de niveaux de recours que l'on perçoit de façon naturelle dans une réflexion théorique globale, n'en reste pas moins de gestion pratique délicate, tant il est plus facile de définir a posteriori le niveau nécessaire et suffisant de prise en charge d'un patient, qu'a priori. C'est d'ailleurs probablement là un des temps les plus importants de la médecine de soins que celui de l'évaluation et de l'orientation initiales dont la pertinence et la qualité supposent des connaissances étendues et un sens clinique aiguisé.
Le projet de texte traduit bien les difficultés qu'il y a à définir clairement des niveaux de soins puisque il est fait mention tour à tour de soins de premier recours, de maladies et d'affections courantes, de médecin généraliste de premier recours et de proximité. On comprend bien ce que visent ces différentes expressions et on conçoit aisément qu'il faille organiser quelque peu les demandes de soins qu'elles recouvrent, ne serait-ce que pour offrir à l'ensemble de la population une égalité d'accès. Toutefois, selon la formule souvent usitée, le diable se cache dans les détails et en l'occurrence dans le sens des mots.
Le premier recours désigne la première personne à qui l'on demande aide et secours lors de la survenue d'un symptôme dont la signification pathologique n'est pas a priori explicite, en tout cas pas par le patient lui-même.
Maladie courante signifie maladie banale, habituelle, fréquente, alors qu'affection courante recouvre plutôt une symptomatologie également banale et fréquente mais indépendamment de la pathologie qui en est la cause. L'obstruction nasale passagère est une affection fréquente en hiver, le rhume qui en est habituellement la cause est une maladie courante.
On voit donc que parler indistinctement de maladies ou d'affections courantes recouvre en fait deux situations bien différentes, l'une symptomatique précédant le recours, l'autre pathologique fruit du diagnostic obtenu (ou pas !) lors de cette première consultation médicale. Si chaque symptôme ou affection était synonyme d'une pathologie donnée, la médecine en serait grandement simplifiée et l'on pourrait alors ne s'intéresser qu'au traitement qui découlerait de ce diagnostic univoque.
Cela n'est évidemment pas le cas, même si la fréquence d'association entre un symptôme et une maladie donnée rend "courants" le diagnostic et la prise en charge qui lui fait suite. Toute la qualité professionnelle du premier consultant réside dans sa capacité à ne pas laisser passer une pathologie grave dissimulée sous un symptôme banal, tant il est vrai que la plupart des maladies sérieuses n'ont pas de spécificité symptomatique initiale particulière. L'affection initiale n'est donc rattachable à une maladie courante qu'après l'examen clinique du patient, le recours éventuel à des explorations complémentaires voire à un ou plusieurs praticiens spécialisés.
Il est dit plus loin que les soins de premier recours comportent "la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies et affections courantes". Là encore, cette description n'est éventuellement valide qu'a posteriori, une fois le diagnostic de "maladie courante" établi.
Dans le même texte de projet de loi, il est fait mention du "respect des exigences de proximité, de qualité et de sécurité" pour ce qui est des soins de premier recours. Si l'on s'en tient à la seule proximité, cette dimension géographique, éminemment variable suivant les lieux, suppose un maillage territorialement et démographiquement harmonieux de l'offre de soins, objectif que l'on ne peut que partager.
Au total, le premier niveau de recours doit être assuré par un praticien "proche" du domicile du patient, en situation de faire la part au sein des affections courantes de celles qui relèvent éventuellement de maladies graves, de déclencher si nécessaire le recours à un deuxième voire à un troisième niveau (qui méritent d'être affinés), d'assurer le suivi des patients, le tout dans une exigence de qualité et de sécurité.
L'orientation stratégique ambitieuse exposée dans ce texte de loi est capitale pour l'avenir de notre système de soins; toutefois, on peut penser que le succès de la démarche nécessitera une certaine coercition accompagnée d'une forte incitation, notamment financière, à l'exercice plein de la médecine de "premier recours" dont dépend à l'évidence la qualité et la performance de l'ensemble de notre système sanitaire. La récente embellie dont a bénéficié la médecine générale lors de "l'amphi de garnison" au cours duquel les nouveaux reçus à l'examen national classant, qui a remplacé l'internat, ont choisi leur spécialité est un élément positif, encourageant pour l'avenir.
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